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devant les tribunaux, devant le sénat, devant le conseil d’état, et l’affaire était soumise à la décision suprême de l’empereur. Celui-ci garda le rapport quatre ans avant d’y apposer sa signature. Il hésitait entre le désir du bien et les mauvais conseils qui l’entouraient; ceux-ci finirent par l’emporter. La loi sur les laboureurs libres devint un texte à peu près stérile, après avoir reçu quelques applications à l’origine. L’impulsion première, donnée par l’empereur, s’affaiblit, et les cadres du servage furent maintenus comme par le passé.

Cependant Alexandre Ier ne cessa jamais de témoigner la répulsion que lui inspirait l’asservissement de l’bomme. Un jour, entraîné par l’énergie de ce sentiment, il saisit une image sainte et jura d’abolir cette odieuse institution; mais ce serment ne reçut qu’un commencement d’exécution dans les provinces allemandes de l’empire, en Livonie, en Esthonie et en Courlande. Jusqu’à présent encore ces provinces sont les seules où la grande réforme projetée par l’empereur Alexandre II se trouve en partie accomplie. Il importe d’étudier de près ce précédent, aussi bien pour calmer des appréhensions exagérées que pour éviter des erreurs qui n’ont pas permis à cette salutaire mesure de produire toutes les conséquences favorables qu’on était en droit d’espérer. L’ordre de choses introduit depuis près d’un demi-siècle en Esthonie, en Livonie et en Courlande a été présenté comme un modèle à suivre. Bien que ce premier essai de solution ait réussi, dans une certaine mesure, sur le littoral de la Baltique, les faits ont, marché depuis, et les circonstances ont tellement changé qu’il est permis de poursuivre aujourd’hui une œuvre plus large et un progrès plus décisif.

La Livonie et l’Esthonie subissaient la servitude la plus absolue : le jus pleni dominii et proprietatis s’appliquait dans toute sa rigueur au malheureux paysan privé de tout droit personnel et de toute protection contre les abus les plus révoltans de l’autorité seigneuriale. Il ne pouvait acquérir que pour le maître; ce qu’il possédait n’était à lui qu’autant que le maître voulait bien lui en laisser la jouissance. Il ne pouvait ni vendre ses produits, ni en acheter d’autres, ni même fréquenter les marchés, sans la permission du seigneur. Cette permission lui était nécessaire pour se marier, et un acte de vente pouvait le séparer de sa femme et de ses enfans. Le seigneur était haut-justicier dans ses domaines; il avait droit de vie et de mort sur ses serfs, et après que ce droit fut aboli, il conserva sans contrôle la faculté d’infliger des châtimens corporels. Dans l’île d’Oesel, la condition des serfs était moins misérable; d’un autre côté, le contact de la Pologne et de la Lithuanie avait heureusement agi sur le sort des paysans de la Courlande. Ils étaient soumis à un joug moins lourd, le cultivateur n’y était pas taillable et corvéable à merci, la coutume avait limité les charges, et celles-ci se trouvaient en rapport avec