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qui correspondent aux tiaglos. Nous retrouvons ici la commune (mir) et la responsabilité collective des membres qui la composent, comme aussi le reflet de pouvoir absolu qui domine tout en Russie. Mir pologil (la commune l’a décidé) est un terme qui exclut le blâme et l’approbation : on obéit à la commune avec la soumission passive d’un esclave tremblant devant son maître, et la commune obéit de même au seigneur. C’est qu’il n’y a pas de recours contre le mir, si ce n’est auprès du propriétaire, et il n’y a aucun recours contre celui-ci, à moins qu’il ne se rende coupable d’un crime.

La commune règle le partage du sol, en accommodant les diverses portions aux forces dont dispose chaque famille. Lorsque l’étendue du terrain excède le strict besoin de la population, c’est aux paysans le plus à leur aise que l’excédant est adjugé, souvent malgré eux, et ils contribuent en proportion aux charges de la communauté. Le partage n’a rien de stable; à mesure que la population augmente, que les tiaglos se multiplient, il faut assigner de nouveaux lots, en les prenant sur les possessions déjà cultivées par d’autres. Le propriétaire du domaine veut utiliser tous les bras, par conséquent assurer la subsistance de tous les serfs : s’il en est qui sont tombés dans le besoin, il vient à leur secours en prescrivant le partage égal, au détriment de ceux qui ont mieux cultivé leurs pièces de terre. Il s’assure ainsi le travail des plus faibles, en les dotant à nouveau, sans aucun sacrifice. Le champ arrosé de la sueur du laboureur ne crée point un droit, il devient un instrument de corvée. Ce qui domine, c’est l’intérêt du seigneur et non celui du paysan. Le partage égal assigne à chacun sa part de subsistance, comme on donne la même mesure d’avoine aux chevaux pour les atteler. Dans les biens-fonds des particuliers, la commune, instrument commode dont le seigneur dispose à son gré, ne fonctionne qu’au bénéfice de ce dernier; elle n’a ni existence légale ni droit reconnu. Si elle répartit la terre, ce n’est pas au profit du cultivateur, mais en vue des droits qui sont acquis au maître. La possession est temporaire. A parler exactement, ce n’est pas le sol qui est divisé entre les cultivateurs, ce sont eux qui sont divisés pour être attachés à certaines fractions du sol. La terre ne change pas de maître, elle reste la chose du seigneur; c’est au profit de celui-ci qu’on distribue les travailleurs. Au lieu de vanter le droit de chaque Russe à la terre, il serait plus vrai de parler de l’obligation qu’il subit pour la prendre. Bornons-nous à un exemple. Dans un village de tisserands, le seigneur avait imposé sur la commune un obrok collectif, après avoir divisé la charge sur la somme totale des dessiatines qui formaient le territoire du village : la commune procéda à la distribution des lots;