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l’homme, et c’est une des plus humiliantes. Tandis que nos yeux se détourneraient avec horreur du tableau où l’on verrait la tête de Louis XVI rouler sur l’échafaud, ils se reposent avec complaisance sur la rude figure de Guise assassiné par un roi de France ; ils cherchent avec curiosité dans les plis de son pourpoint la trace du fer meurtrier ; ils consentent à voir un heureux effet de couleur dans le sang qui rougit le marbre de l’escalier des Géans, où vient de rouler la tête de Marino Faliero. Personne n’est à l’abri de cette déplorable perversion, de cet émoussement du sens moral. L’adultère en poudre et en mouches, la fourberie en talons rouges nous égaient sur la scène et nous dégoûteraient au coin de notre feu. Tout prend une teinte douce et sereine sous la poussière des siècles, et le long cri de douleur des martyrs et des vaincus se prolonge en chants de joie dans l’avenir. Tandis que l’humanité devrait se voiler la face devant les crimes dont elle a souillé la terre, tandis que la philosophie et la religion la rappellent à son néant au nom de ces mêmes crimes, l’histoire l’absout ; elle fait plus, elle la glorifie. Que le patriotisme vienne joindre sa voix enivrante à ce concert de mensonges, alors ce cynisme fataliste devient plus qu’une vérité, il devient une vertu. Au lieu de porter le deuil du passé, chaque opinion se fait sa part dans les crimes qu’il a commis, afin qu’il ne reste rien à glaner dans cette moisson d’horreurs. D’où peut venir cette étrange manie commune à tant de généreux esprits ? D’une des plus incurables faiblesses de la nature humaine, — celle de préférer le triomphe de ses idées, — par lesquelles elle vaut si peu, au triomphe de sa conscience, par laquelle elle vaut tout. Ce n’est pas pour le crime lui-même que l’homme glorifie le crime, il n’est pas si méchant ; c’est parce que le crime a souvent accompagné les grandes choses, parce que peut-être elles n’auraient pas été faites sans lui, et qu’ainsi le crime semble la condition du progrès de l’humanité. L’homme s’incline devant les résultats ; il ne songe pas que le sang des opprimés crie à travers les siècles, qu’il arrive parfois à étouffer cette gloire qu’il a payée, et que l’obstacle franchi par un crime revient se dresser plus loin plus fort et plus infranchissable. L’homme se croit plus grand par ses idées que par sa conscience, et c’est pour cela que l’histoire du monde est écrite avec du sang ; c’est pour cela que les religions, et la plus sublime des religions elle-même, ont élevé tant de bûchers et d’échafauds. Ce n’est point la piété répandant son secret dans le sein de Dieu, ce n’est pas la mystique ardeur de sainte Thérèse ni la charité de Vincent de Paul qui brûlent les hérétiques ; c’est la doctrine ou plutôt c’est le système que les hommes bâtissent sur la doctrine, et pour lequel ils réclament plus de respect que pour la personne