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si vigoureusement débattue dans le dernier siècle entre Boulainvilliers, Dubos, Mably et Mme de Lezardière.

Quand il eut publié cet ouvrage, M. Thierry sentit qu’il avait assez fait pour ces époques obscures de notre histoire. Il annonçait lui-même que ces récits fermeraient le cercle de ses études sur les premiers temps de l’histoire de France, Une tâche considérable venait de lui être confiée. Il devait rassembler, critiquer et publier tous les documens propres à éclairer l’histoire du tiers-état. Ses études se concentrèrent sur ce sujet, que ses premiers travaux et l’avènement définitif des classes moyennes par la révolution de 1830 rendaient pour lui doublement intéressant. Le livre qu’il a publié depuis 1848 est l’introduction qui devait ouvrir et expliquer cette grande collection.


III.

Chose étrange, on avait vu jadis des gens sourire du goût passionné de M. Thierry pour les vaincus de tous les siècles ; il semblait donc que le champion des communes, des outlaws de la forêt de Sherwood, celui qui avait écrit la triste complainte de Jacques Bonhomme, il semblait qu’un tel historien dût à jamais échapper au reproche d’avoir glorifié les faits accomplis, et qu’il fût difficile d’être à la fois le don Quichotte des opprimés et le complaisant des oppresseurs. C’est cependant le reproche qui devait atteindre le dernier livre de M. Thierry, et, chose plus étrange encore, c’est que le livre incriminé devait justifier jusqu’à un certain point, sinon par l’intention de l’auteur, au moins par quelques considérations trop générales, l’attaque que M. Edgar Quinet a dirigée en bloc contre le fatalisme dans l’histoire[1].

On ne l’attaquera jamais assez en effet, le fatalisme historique. Il est trop puéril de voir des gens s’enfermer tranquillement dans leur cabinet pour se promener avec le sourire sur les lèvres et une sorte de béate satisfaction au milieu de tous les échafauds et de tous les guet-apens de l’histoire. Y a-t-il donc une baguette magique qui transforme en rosée bénie le sang versé par les tyrans ? Y a-t-il quelque vertu secrète qui nous rende si douces à porter les souffrances des générations passées, et le bien de l’humanité sortirait-il, comme la plante, d’une semence corrompue et putréfiée ? On serait tenté de le croire en vérité, à voir ce que devient le crime, quand il est regardé au travers du prisme des siècles. C’est une des faiblesses innées de

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1855, Philosophie de l’Histoire de France. Le même livre avait inspiré à M. Albert de Broglie des pages pleines d’une éloquente tristesse, qui ont paru dans la Revue du 15 janvier 1854.