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néophyte, il alla jeter son cri de guerre dans le Courrier français, et ses prétentions n’allaient pas à moins qu’à renouveler dans la science, dans l’enseignement et dans la forme, toute l’histoire de notre pays. Les coups tombaient dru comme grêle sur nos pauvres historiens, qui n’avaient point commis d’autre crime que de n’avoir pas été au-dessus de leur temps, et chaque lettre de M. Thierry dans le Courrier français ajoutait une ou plusieurs victimes à l’hécatombe. Toutefois l’esprit des lecteurs de ce journal ne marchait pas aussi vite que M. Thierry, et, n’entrevoyant pas bien le but final de la campagne, ils trouvèrent tout bonnement ses articles ennuyeux. On invita M. Thierry avarier un peu les sujets de ses travaux, mais il avait prononcé ses vœux ; il appartenait dorénavant tout entier à l’histoire. Au mois de janvier 1821, il cessa de prendre part à la rédaction du Courrier français.

Que s’était-il donc passé dans l’esprit de l’ardent écrivain pendant cette laborieuse année ? Ceci simplement : c’est qu’alors avait sonné pour lui l’heure qui sonne un jour dans la vie de tout grand écrivain, l’heure qui décide des grandes vocations. Peu importait en effet qu’il fût ou ne fût pas trop sévère pour ses innocens devanciers. Cette confiance en soi-même, quand elle est appuyée sur de consciencieuses études, est peut-être la condition la plus propice à l’épanouissement des grands talens : si M. Thierry n’avait pas le respect des savans, il avait le respect de la science, et il ne chercha point à s’appuyer sur autre chose. Un moment il sembla que toute la vieille science allait sauter et disparaître dans un nuage ; mais quand on put voir clair dans la mêlée, la science avait marché et planté son drapeau plus avant. Toute révolution est un chaos avant d’être un progrès ; il ne faut donc pas s’étonner si M. Thierry dépassa souvent ses propres intentions, et s’il se mêla quelques erreurs à ses vues sur l’histoire de France. Il s’étonnait avec raison de voir les historiens modernes faire remonter jusqu’à Clovis l’institution monarchique, telle qu’elle existait sous Louis XIV. Il concevait tout autrement l’organisation d’une tribu franque, et cette confusion donnait, selon lui, une fausse couleur à toute l’histoire de ces temps. Avait-il tort ou raison ? Tout dépend un peu du sens qu’on attache aux mots. Au fond, ni Mézeray, ni Daniel, ni Velly n’avaient cru sérieusement qu’il y eût une France au VIe siècle ; mais faute de pouvoir suivre dans ses fluctuations l’histoire des populations gallo-romaines, il avait bien fallu s’attacher, pour maintenir la tradition des temps, à cette tribu de Francs saliens et à leurs chefs. Clovis n’était pas sans doute un roi dans le sens moderne du mot ; mais il en eut la prétention. Il en eut même une plus grande. Le fantôme de l’empire romain planait encore sur le monde qu’il