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blanchi au milieu des luttes parlementaires ne peuvent songer aujourd’hui sans émotion à ce temps de leur jeunesse, qui fut aussi la jeunesse de la liberté, qui en eut toute l’ardeur et les généreuses aspirations. Avec une passion alors irréfléchie, Augustin Thierry alla se placer aux rangs les plus avancés de cette armée libérale. Il fut un moment le secrétaire de Saint-Simon, à une époque où l’apôtre ne prétendait encore qu’à réformer la société. Quand il laissa voir l’intention de faire une religion, l’esprit net et sérieux de M. Thierry ne le suivit pas loin dans ces nuages, et leur association ne dura pas longtemps. Alors paraissait un journal, le Censeur européen, que M. Thierry appelle lui-même la plus grave et la plus aventureuse en théories des publications libérales de cette époque, et que rédigeaient MM. Comte et Dunoyer. M. Thierry prit part dès 1817 à la rédaction de ce journal. On y combattait à la fois dans le présent, le passé et l’avenir. Il le fallait bien : amis et ennemis semblaient avoir oublié tout ce qui s’était accompli depuis 89. Si M. Thierry, personnifiant la vieille France dans le piteux personnage de Jacques Bonhomme, s’écriait : « Il y a vingt siècles que les pas de la conquête se sont empreints sur notre sol ; les traces n’en ont pas disparu ; les générations les ont foulées sans les détruire ; le sang des hommes les a lavées sans les effacer jamais[1], » M. de Montlosier écrivait dans un livre sérieux : « Race d’affranchis, race d’esclaves arrachés de nos mains, peuple nouveau, peuple tributaire, licence vous fut octroyée d’être libres, et non pas à nous d’être nobles ; pour nous tout est de droit, pour vous tout est de grâce[2]. » Si donc M. Thierry reprit les choses d’un peu haut, il ne fut pas le seul champion de ces colères posthumes des vaincus et des vainqueurs. D’ailleurs il ne cherchait pas seulement dans ces luttes ardentes une satisfaction aux aspirations de son esprit ; il s’y donnait tout entier, selon l’instinct de sa forte et généreuse nature, et, sans le savoir, il appartenait déjà à l’histoire. Il semblait qu’il sentit vivre en lui les quinze siècles de notre passé, et comme un fils dévoué, il ne voulait pas l’accepter sous bénéfice d’inventaire ; il avait besoin d’aimer et de justifier tous ceux qui avaient aimé la liberté et souffert pour elle. Aussi, malgré les erreurs partielles où l’entraîna quelquefois cette ardeur passionnée, il put revoir, sans en rougir, ces premières pages éparses dans différens recueils ; il savait qu’il se retrouverait tout entier dans ces débris des souvenirs de sa jeunesse. Il a publié en 1834, sous le titre de Dix Ans d’Études historiques, ces fragmens qu’il eût pu laisser

  1. Dix Ans d’Études historiques.
  2. Montlosier, De la Monarchie selon la charte.