après et avec un éminent critique[1], de recomposer la physionomie d’un écrivain que le public n’avait guère connu jusqu’à ce jour que par ses ouvrages.
Augustin Thierry appartenait à cette génération vigoureuse que la révolution française, semblable à la louve de Romulus, nourrit d’un lait puissant, sinon toujours pur[2]. Les troubles civils ont cette supériorité sur l’apathie satisfaite, qu’ils exigent des combattans un vaste déploiement d’énergie, et il est rare que l’énergie ne soit pas féconde en quelque chose. Aussi la même révolution qui a fait jaillir quatorze armées du sol bouleversé de la France a vu naître presque tous les écrivains qui ont illustré le commencement de ce siècle. Les parens d’Augustin Thierry habitaient Blois, et c’est dans le collège de cette ville qu’il termina ses études. Les yeux du jeune écolier durent se reposer souvent sur les antiques bâtimens où se réunirent les états-généraux les plus orageux de l’ancienne monarchie, et il semble qu’il ait respiré lui-même sous les voûtes du vieux palais quelque chose de l’esprit à la fois hardi et sensé de ces bourgeois du XVIe siècle. C’est là, comme il nous l’a raconté lui-même et comme il ne faut pas essayer de le raconter après lui, que la muse de l’histoire laissa tomber sur lui un premier regard si plein de promesses ; c’est là qu’il ressentit, en lisant les Martyrs de Chateaubriand, ce coup de foudre, comme on appelait au XVIIe siècle la première révélation d’un autre sentiment, qui décide à un moment donné des grandes vocations littéraires. Un autre roman ou plutôt un autre poème, Ivanhoë, devait plus tard l’aller chercher au milieu de la mêlée politique, pour le rendre à sa véritable vocation. On peut dire que toute l’histoire intellectuelle de M. Thierry est dans ces deux impressions, puisqu’elles correspondent à ses deux chefs-d’œuvre historiques. Il avait entrevu dès lors ce que ses études devaient plus tard lui rendre évident : c’est qu’il y a une autre histoire que l’histoire des rois et des grands politiques, c’est que les générations et les peuples ont une vie comme les individus, une communauté de passions, d’idées et d’aspirations, qu’il est possible de faire revivre dans un récit. La même époque devait voir naître une autre école historique en Allemagne. Niebuhr jetait alors les premiers jalons de sa grande histoire au milieu des ruines éloquentes qui avaient déjà inspiré Gibbon. Il cherchait le véritable berceau de la ville éternelle ; mais, fidèle aux habitudes de l’esprit allemand, il commençait par passer l’éponge sur la légende, pour voir si l’histoire ne se retrouverait pas dessous, comme le chef-d’œu-