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France soit disposée à prendre un aussi grand parti ? Et bien qu’en général on fasse ces choses-là pour elle, qui peut répondre qu’en imposant un changement aussi complet à ses habitudes, on ne dépasserait pas les larges bornes de sa patience ? Contentons-nous donc de poursuivre, mais poursuivons avec persévérance, une réforme aisée et pratique, qui serait bien accueillie de la grande majorité de nos concitoyens. Ceux qui la dédaignent à cause de son insuffisance ont sans doute en réserve quelque moyen infaillible de faire quelque chose de mieux et plus vite, et d’une façon durable. Hélas ! on croit voir un homme qui, étendu tout de son long par terre, ne veut point se relever à moins de se trouver debout comme l’éclair. Ne lui parlez point d’avancer cette main, puis cette autre, de mettre un genou en terre : misères que tout cela, délais humilians et inutiles, qui conviennent à ses voisins, mais non pas à lui ! Il a reçu de la Providence le don unique de se mouvoir d’une seule pièce et de faire des sauts merveilleux ; c’est un dieu ou un épileptique, car, s’il bondit en un instant sur ses pieds, il ne lui faut pas plus de temps pour se retrouver par terre.

Quant à ceux qui craignent l’effet désastreux d’une semblable réforme, ils ont des argumens si admirables, qu’on est embarrassé pour leur répondre. Il en est qui, trouvant ingénieux d’accuser leurs concitoyens de haute trahison, déclarent que la France est menacée de conquête par les agens religieux de l’Angleterre, et que lire la Bible ou la répandre, c’est se dénationaliser. Ce sont naturellement les mêmes hommes qui flétrissent la Suède du nom de barbare, parce qu’elle repousse la religion et l’argent de la France. Et que diront-ils du gouvernement anglais, qui, énumérant lui-même les trente-cinq religions qui fleurissent librement à l’ombre des lois, dit au parlement dans son rapport officiel : « Nous devons reconnaître avec un certain degré de satisfaction l’inévitable existence de cette coopération diverse à l’œuvre commune de la religion ? Nous comprenons, comme l’a dit Milton, que tandis qu’on bâtit le temple du Seigneur, que les uns coupent le marbre, que les autres le façonnent, que d’autres encore fendent les cèdres, il y ait nécessairement bien des schismes et bien des divisions avant que la maison du Seigneur soit bâtie[1]… » Il en est d’autres qui dé-

  1. La réception que la ville de Leeds vient de faire à la reine Victoria a été marquée par un incident caractéristique. 27,000 enfans appartenant aux écoles de la ville étaient rangés sur le passage de la reine, et l’ont accueillie par le God save the queen. Ces 27,000 enfans se partagent librement entre Les 133 écoles de la ville de Leeds, et voici la part de chaque culte dans ces écoles : 41 appartiennent à l’église établie, 23 aux wesleyens méthodistes, 15 aux wesleyens de la nouvelle église, 7 aux wesleyens de la nouvelle alliance, 10 aux-wesleyens de la primitive église, 3 aux wesleyens réformés, 12 aux indépendans, 11 aux baptistes, 3 aux catholiques romains, 2 aux unitariens, et 6 aux écoles mixtes ou neutres. Voilà pour la seule ville de Leeds, et l’on ne s’aperçoit pas que cette diversité de cultes ait porté atteinte à son patriotisme. Ce qui est certain, c’est qu’elle a introduit une salutaire émulation dans l’éducation de l’enfance. — Nous n’avons rien dit ici du régime légal des écoles dissidentes en France. Elles sont aussi soumises à la condition de l’autorisation préalable, et l’autorité peut s’opposer préventivement à l’ouverture de ces écoles dans l’intérêt des mœurs publiques. M. Guizot a plusieurs fois signalé à la Société d’éducation primaire les regrettables conséquences de ce régime.