Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et obtenait pour son culte une égale protection, on ait entendu dire que chacun professait le culte qu’il lui serait permis de professer. Ce n’est pas là une liberté politique ; c’est l’état de choses qui a toujours existé en France, avant comme après la charte, dans l’ancien régime comme aujourd’hui. Je dis qu’en soi les idées de liberté et de prévention sont des idées qui s’excluent mutuellement. On ne peut pas, à mon avis, considérer comme établissant la liberté des cultes un régime qui soumet le libre exercice des cultes à deux autorisations préalables. Que diriez-vous d’une loi sur les journaux qui dirait : La liberté des journaux existe en France, mais aucun journal ne pourra exister s’il n’est établi par la loi ou autorisé par l’administration, et de plus il ne pourra être distribué dans aucune localité sans la permission de l’autorité municipale ? Messieurs, nous avons eu autrefois, en France, une loi ainsi conçue : « aucun journal ne peut paraître sans l’autorisation du gouvernement ; » mais le gouvernement qui la proposait ne disait pas que c’était une loi pour établir la liberté des journaux ; il disait que c’était une loi exceptionnelle, une loi suspensive de la liberté des journaux. Quant à moi, je crois que l’état de choses actuel n’est pas compatible avec l’article 5 de la charte. » Nous n’ajouterons rien à ces paroles, si simples et si fortes, qui respirent le bon sens et l’amour de la justice. L’histoire prononcera entre le jugement de cet éminent homme de bien et les arrêts qu’il réprouve ; mais d’où venait, après tout, cette triste lutte si fatale au bon droit, si ce n’est de la faute du législateur, qui avait laissé en regard, sans explication suffisante, la liberté proclamée par la charte et la toute-puissance de l’administration consacrée par les lois ?

La république, dans sa courte existence, voulut faire mieux, et elle ne sut pas mieux faire. L’article 5 de la charte devint l’article 7 de la constitution républicaine, qui proclamait la liberté des cultes, et l’article 291 du code pénal fut momentanément éclipsé par l’article 8 de la même constitution, qui autorisait les citoyens à s’assembler paisiblement et sans armes, et à manifester leurs opinions par la voie de la presse ou autrement. Enfin, lorsqu’on fit le décret du 28 juillet 1848 sur les clubs, on voulut éviter l’omission du législateur d’avril 1834, et n’exposer à aucun trouble la conscience des tribunaux. Aussi l’article 19 de ce décret déclare-t-il expressément qu’il n’est pas applicable aux réunions ayant pour objet exclusif l’exercice d’un culte quelconque. Ce n’était point encore assez clair, à ce qu’il semble, et il fallait dire l’exercice ou la prédication d’un culte quelconque. On ne tarda pas à en faire l’épreuve. M. Pilatte, ministre protestant, lit une suite de prédications dans une salle de la rue Mouffetard. D’après les procès-verbaux des agens de