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cette loi au régime des cultes. Destinée à étendre et à fortifier contre les sociétés secrètes les dispositions de l’article 291, cette loi interdit et punit les associations de plus de vingt personnes, alors même que ces associations seraient partagées en sections moins nombreuses et ne tiendraient pas des réunions périodiques. Lorsque cette loi fut discutée, deux députés prévoyans, le baron Roger et M. Dubois de la Loire-Inférieure, présentèrent des amendemens faits pour prévenir tout malentendu, déclarant les dispositions de cette loi inapplicables aux réunions religieuses. Ces amendemens furent écartés sur cette affirmation expresse du garde des sceaux : « S’il s’agit de réunions pour le culte à rendre à la Divinité, la loi n’est pas applicable, nous le déclarons de la manière la plus formelle. » Quelques jours plus tard, le rapporteur de la loi devant la chambre des pairs citait ces paroles du garde des sceaux, et ajoutait : « Si cette déclaration n’est pas dans la loi elle-même, elle en forme du moins le commentaire officiel et inséparable. C’est sous sa foi que l’article a été voté par l’autre chambre, qu’il pourra l’être par vous, et il n’est pas à craindre qu’un tribunal en France refuse de l’entendre ainsi. » N’était-ce en effet nullement à craindre? Le tribunal de Montargis répondit par des considérans qui appliquaient précisément la loi de 1834 au régime des cultes[1]. Ce fut une grande surprise pour le public de ce temps-là; nous sommes devenus moins faciles à étonner que ce public, qui manquait un peu d’expérience. L’affaire vint en appel à la cour d’Orléans, et cette cour rendit, le 9 janvier 1838, après de longs débats, un arrêt mémorable qui mettait plus étroitement aux prises que jamais les deux articles rivaux, et qui se prononçait dans le sens le plus libéral[2]. Cet arrêt fit une grande

  1. « Considérant que l’article 5 de la charte de 1830, en proclamant le fait existant et reconnu de la liberté des croyances religieuses, n’a pas enlevé an gouvernement le droit d’en surveiller l’exercice extérieur (surveiller? qui le nie? il s’agit du droit d’autoriser ou d’interdire cet exercice par mesure administrative; mais poursuivons);
    « Que la discussion qui a eu lieu aux deux chambre sur la loi des associations (10 avril 1834) en fournit la preuve irrécusable, puisque, lors de l’examen de cette loi, un amendement tendant à créer une exception en faveur des réunions religieuses a été repoussé...
    « Considérant que cette loi, loin d’avoir abrogé ou modifié l’article 291 du code pénal, a eu au contraire pour objet de lui donner une extension et une sanction qu’il n’avait pas, etc.. déclare Doine et Lemaire coupables d’avoir fait partie de réunions ou associations non autorisées ayant pour objet de s’occuper de matières religieuses, délit prévu par les articles 291 et 292 du code pénal et les articles 1 et 2 de la loi du 10 avril 1834. »
  2. « Considérant que le principe de la liberté des cultes proclamé par la constitution de 1791, garanti par celle de l’an II et de l’an III, a été consacré dans toute sa plénitude par la charte de 1830;
    « Qu’en effet l’article 5 dispose d’une manière générale et absolue que chacun professe sa religion avec une égale liberté et obtient pour son culte la même protection;
    « Qu’évidemment cette disposition n’a pas eu pour objet de protéger seulement la liberté des opinions et des croyances, qui, renfermées dans le sanctuaire impénétrable de la conscience, échappent à l’empire des lois humaines, mais bien d’assurer la libre manifestation de ces croyances par des paroles ou par des actes extérieurs, c’est-à-dire par l’exercice de certaines pratiques ou cérémonies;
    « Qu’à la vérité la liberté religieuse, comme toutes nos libertés politiques, est soumise aux nécessités de l’ordre social; que dans l’intérêt même de sa conservation, cette liberté a besoin de la surveillance de l’autorité temporelle, mais que cette surveillance, destinée à réprimer les abus du droit, ne doit pas en gêner ni surtout en empêcher l’exercice;
    « Que c’est ainsi que le législateur de l’an IV avait su concilier le respect dû aux principes de la liberté des cultes avec l’intérêt de l’ordre public, en exigeant par la loi du 7 vendémiaire une déclaration préalable à l’autorité, pour qu’elle prît les mesures de police et de sûreté qu’elle jugerait nécessaires;
    « Que le code pénal de 1810, portant plus loin l’exigence dans les articles 291 et 292, a, il est vrai, soumis à la condition de l’agrément du gouvernement l’existence des associations ayant pour but de s’occuper d’objets religieux, mais que ces dispositions restrictives sont aujourd’hui inconciliables avec le droit franchement entendu de professer librement sa religion;
    « Qu’en effet admettre, dans ce cas, la nécessité pour les citoyens de demander l’agrément du gouvernement, ce serait reconnaître à celui-ci la faculté de le refuser, et par suite rendre illusoire l’un des droits les plus précieux à l’homme;
    « Que la conséquence nécessaire de cette incompatibilité entre l’article 5 du pacte social et les articles 291 et suivans du code pénal est donc, conformément à l’article 70 de la charte, l’abrogation virtuelle des dispositions précitées en tout ce qui est relatif à l’exercice des cultes;
    « Que vainement on objecte pour démontrer la non-abrogation des articles précités qu’ils ont été littéralement maintenus dans le code revisé en 1832; car, d’une part, il est de principe qu’une loi ne peut implicitement détruire l’effet d’une disposition de la constitution, et d’autre part il résulte de la discussion à laquelle a donné lieu le nouveau code pénal que l’on n’entendit pas reviser le système général de la législation criminelle, mais seulement apporter des modifications à des peines détenues trop sévères dans l’état actuel de nos mœurs;
    « Que vainement aussi l’on voudrait appliquer à la cause la loi du 10 avril 1834; qu’en effet cette loi n’a voulu prohiber que les associations proprement dites, résultant d’un accord entre les associés, et dont le but ou le prétexte serait de s’occuper de théories ou de controverses religieuses, mais qu’évidemment elle n’a pas entendu atteindre les simples rassemblemens d’individus réunis par un même sentiment religieux et pour l’exercice d’un culte ;
    « Que cette interprétation résulte de la discussion du corps législatif et notamment de la déclaration formelle du ministre des cultes, déclaration qui a dû déterminer le rejet des amendemens proposés, comme surabondans ou inutiles;
    «Considérant en fait, etc.,.. décharge les appelans, etc.. »