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proie à une maladie plus dangereuse encore chez le paysan que chez les gens de la ville. Suivant l’expression énergique du pays, il « s’était chargé l’ennui », il avait le dégoût de la vie. Il voulait toujours être seul ; il restait pendant tout le jour dans les bois et dans les landes, ne mangeait que du bout des dents et dormait à peine. Sa faiblesse était devenue excessive, et, pour la combattre, il avait recours à l’eau-de-vie. La mort, qui s’était cachée jusque-là, commençait alors à se montrer sur son visage décomposé, et tous ceux qui le voyaient annonçaient qu’il n’irait pas loin. La vieille dame assistait impassible à cette destruction. Le seul effort qu’elle fit pour guérir Janouet, ce fut de l’exhorter rudement à manger, prétendant qu’il refusait de manger par fainéantise. Elle fit dire aussi quelques messes, se figurant que Ménine avait jeté un sort sur son fils. Le fait est qu’elle ne le croyait pas aussi malade qu’il l’était en réalité.

Des symptômes d’une autre nature ne tardèrent pas à l’éclairer sur l’état de Janouet. Son immense fortune devait revenir à des parens paternels, pauvres et demeurant dans le pays. L’approche de cette opulente succession les mit en émoi. Ils consultèrent des avocats, fouillèrent les archives des notaires et des communes, et commencèrent à mettre leurs papiers en règle. Quelques-uns poussèrent une reconnaissance dans les métairies qui devaient leur appartenir, les arpentèrent dans tous les sens, et prirent un avancement d’hoirie en y faisant paître leur bétail. Bientôt leurs têtes gasconnes s’échauffèrent et ils bravèrent en face la vieille dame, disant hautement que la Toussaint ne se passerait pas sans qu’ils la missent à la porte. L’assurance des héritiers lui ouvrit les yeux, et elle commença à s’inquiéter sérieusement. Elle fit venir les plus grands médecins du pays, et le curé fut appelé à la consultation. Tous furent d’un avis unanime. Il y avait là une maladie morale, arrivée à un tel degré d’intensité, qu’elle n’admettait qu’un seul remède. Il fallait marier Janouet avec Ménine ou le voir mourir. La vieille dame hésita ; mais l’outrecuidance des héritiers vint au secours de Janouet. Deux d’entre eux s’étaient battus un dimanche pour une prairie que chacun voulait avoir dans son lot. Le lendemain, Mme de La Roumega me chargea d’aller chercher Ménine. Je la trouvai dans la pauvre métairie ; elle était en train de joindre une paire de bœufs. Les enfans, gais et bien portans, sautaient autour d’elle et lui faisaient fête. Elle était plus maigre, plus hâlée que lorsqu’elle était au château, mais elle était fort belle encore. Je lui exposai quel était l’objet de ma visite. L’annonce de cette fortune inespérée ne la troubla pas ; elle resta calme et sérieuse et me répondit qu’elle préférait demeurer où elle était. Grâce à elle, ses hôtes commençaient à sortir de la misère ; elle était aimée