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et donner la chasse aux assassins. Le brigadier connaissait la présence de Saint-Jean dans le pays, et comme ce personnage lui était suspect, il pensa qu’il pourrait bien être l’auteur de l’assassinat.

On fit une battue dans la campagne au milieu d’une lande qui depuis dix ans n’avait pas été coupée. On y trouva Saint-Jean et Blasion, tous deux à moitié morts de froid et couverts de sang. Blasion avoua tout sans se faire prier, et demanda qu’on le conduisît immédiatement à l’échafaud. Il était dans un grand état d’exaltation. « Je n’en voulais ni au percepteur, ni à son argent, disait-il, je ne suis pas un voleur ; mais je souffrais trop. Elle répondra de mon corps et de mon âme devant Dieu. » Ces paroles, qui étaient des divagations pour tous, avait un sens pour moi. J’ai toujours cru que Saint-Jean, voyant que Janouet, retenu par Ménine, lui manquait de parole, était allé trouver Blasion dans les bois, et lui avait raconté ce qui retenait Janouet au château. Blasion, rendu fou par la jalousie, s’était laissé entraîner par Saint-Jean, et, n’ayant plus la tête à lui, commit le crime qui lui coûta la vie.

Comme vous le pensez bien, cette affaire lit grand bruit dans la contrée. Saint-Jean surtout eut le privilège d’exciter la curiosité publique. Tous les assassinats récens et anciens furent exhumés. On voulut voir en lui un chef de brigands. Pendant longtemps, on chanta dans les foires une complainte sur ses aventures. Le fait est qu’avant et après le procès, on ne sut que peu de chose sur ce personnage. Il avait servi dans les gardes françaises, et s’était trouvé à Paris à l’époque des plus mauvaises journées de la révolution. Quelques histoires racontées par lui autorisaient à penser qu’il avait eu un grade dans l’armée de Charette. Enfin des documens transmis au procureur impérial prouvèrent qu’il avait fait partie des bandes de chauffeurs dans le nord. Son attachement pour Janouet s’expliquait surtout par la sécurité qu’il trouvait dans le vieux château, perdu dans un pays sauvage.

III.

Quand les gendarmes eurent emmené Janouet, la vieille dame n’attendit pas même qu’il fît jour pour renvoyer Ménine, et vous pouvez imaginer de quelles injures elle assaillit la pauvre fille, qui ne lui répondit pas une seule parole. Toute sa fierté avait disparu, elle marchait la tête basse et n’osait lever les yeux sur nous. Elle fit un misérable paquet de ses hardes, et par la porte entre-bâillée se glissa hors de la maison sans jeter un regard derrière elle. Elle ne réclama même pas les gages qui lui étaient dus. Comme l’aube commençait à poindre, je la trouvai à quelques pas du château