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plus d’espoir. Elle fit un signe à la petite, qui sauta du lit. Elles prirent les épaules de la mourante et essayèrent de la soulever, mais elles tentèrent en vain de lui faire avaler un peu de pain trempé dans le vin rouge.

En ce moment, nous entendîmes une clochette. Le vieux curé (celui qui l’avait mariée) arriva, accompagné d’un enfant, tous deux crottés, mouillés, transis de froid. Il s’approcha de la malade ; lui aussi, il haussa les épaules. Il tira de sa poche une petite fiole, et frotta les tempes de Gatinon ; mais elle ne bougea pas. « Elle ne pourra pas se confesser, » dit-il. Alors il se mit à genoux sur la terre humide, et nous nous agenouillâmes auprès de lui. Il pria en latin, le clerc disait amen, et nous répétions amen. Il se leva ensuite et donna l’extrême-onction à la mourante. Comme il lui mettait l’huile sur le front, elle fit un grand bond et tomba du lit : elle était morte. Il pria encore quelque temps, et nous priâmes avec lui, tous les quatre à genoux. Quand nous nous relevâmes, nous vîmes Méuine qui mangeait le pain trempé dans le vin resté dans l’écuelle.

Si j’avais été marié, et si j’avais eu une maison, j’aurais pris la petite avec moi ; mais je travaillais tantôt d’un côté et tantôt d’un autre, et je logeais à l’auberge. Une voisine la recueillit, celle qui avait assisté la mourante dans ses derniers momens. Elle n’était pas riche : c’était une pauvre veuve qui avait une vigne et quelques quartiers de terre ; elle filait pendant toute l’année, et son fils unique Blasion menait paître une douzaine de brebis, le plus souvent chez les autres. Le curé habilla la petite, car l’époque approchait où elle allait faire sa première communion. Quand elle voyait trop de misère dans la maison qui l’avait reçue, elle reprenait son ancien métier et allait demander son pain. La veuve, que je rencontrai un jour, me dit : « Si les temps n’étaient pas si durs et le maïs si cher, je garderais bien Ménine avec moi. C’est un cœur brave et vaillant, elle se mettrait au feu pour moi et pour mon fils. Elle est grande et bien formée pour son âge ; elle pourrait entrer servante dans quelque maison. Il y a tant de gens riches : pour eux, une bouche de plus ou de moins n’est pas une charge, et son travail paierait bien sa nourriture. J’ai toujours peur que ces bohémiens qui passent ne l’enlèvent. Elle est éveillée et chante comme un oiseau ; mais elle est sans cesse par les chemins, il lui arrivera quelque malheur. Vous qui travaillez au château, vous devriez dire à la dame de la prendre à son service. Elle est un peu dure, mais c’est ce qu’il faut pour une jeune fille qui a toujours vagabondé. »

En effet, je travaillais au château à cette époque, et j’étais assez bien avec la vieille dame, qui réellement n’était pas tendre. On a beaucoup parlé de cette famille et de l’origine de son immense fortune. Arrêtez le premier paysan que vous rencontrerez, il vous ra-