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ils aboient, ils ne mordent pas. » Elle monta ensuite sur le tertre, et se mit à crier : « Janouet ! Janouet ! la dame est partie, bonsoir ! » Janouet sortit d’une touffe de fougères : « Eh donc ! fit-il, pourquoi t’en vas-tu ? — La tournée n’est pas finie, répondit-elle, et la maman attend. Elle n’est pas bien douce non plus. »

Janouet pouvait avoir huit ans. Son béret troué laissait échapper au sommet une mèche de cheveux blonds en guise de plumet. Il n’avait ni culotte, ni bas, ni souliers, mais probablement une chemise et une sorte de robe en drap, trouée partout où elle n’était pas tachée. Il laissa partir la petite mendiante en poussant un soupir, et celle-ci m’accompagna en me regardant avec curiosité.

— D’où es-tu ? lui dis-je.

— Oh ! moi ! répondit-elle, je suis la fille de la Catinon.

— Elle demeure toujours dans la lande ?

— Oui.

— J’ai beaucoup connu ton père.

— Oh ! moi ! dit-elle, je n’ai pas connu le pauvre papa. La maman est bien malade. Elle ne peut plus manger. M. le curé vient la voir, c’est signe qu’elle n’ira pas loin.

— On dit qu’elle te bat, ta mère ?

— Ce n’est pas elle, c’est le vin. Quand la maman a trop bu, elle ne me reconnaît plus. Elle battrait aussi bien un chien ; elle n’y met pas de malice.

— Et quand elle sera morte, que feras-tu ?

— Je demanderai mon pain, et, quand je serai grande, je m’en irai à Bordeaux ou à Toulouse, où l’on dit que les filles sont bien heureuses. Elles boivent et mangent tant qu’elles veulent, et elles ne font rien.

— Oui, mais ce sont de mauvais sujets ; ne vaudrait-il pas mieux travailler ?

— Travailler, oui ; j’aimerais mieux travailler. Si vous connaissez quelque propriétaire qui ait besoin d’une pastoure (bergère), adressez-moi à lui. Je sais filer, dit-elle avec orgueil, je sais faire la miche,… je sais,… je ne sais pas grand’chose, j’apprendrai ; mais qui voudrait de moi ? Je suis la fille d’une sorcière. Cependant M. le curé veut me faire faire la première communion, et ensuite les autres drôles voudront peut-être deviser avec moi.

L’enfant se tut alors et devint triste. Je voulus changer la conversation. — Tu n’as pas peur, lui dis-je, que la dame te fasse manger par les chiens ?

— La dame du château ! elle est bien méchante, mais je n’ai pas peur de ses chiens. Janouet les emmène quelquefois avec lui, et ils me connaissent.

— Janouet est le pâtre de la dame ?