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MÉNINE
SCÈNES DE LA VIE DES LANDES DANS L’ARMAGNAC NOIR.



I.

Presque au pied des Pyrénées, sur les confins du département du Gers et du département des Landes, se trouve une contrée nommée dans le pays l’Armagnac Noir, et qui a mérité longtemps cette sombre qualification. De grands bois peuplés de chênes contemporains des druides, des espaces considérables couverts de bruyères et de genêts épineux, une longue suite de collines s’étageant de façon à être couronnées par un vaste plateau, des marécages obstrués de roseaux et de broussailles, d’immenses étangs occupant les gorges de ces collines, des chemins creux impraticables aux chevaux pendant l’hiver, faisaient de cette contrée, il n’y a pas plus de quarante ans, comme une oasis de la barbarie au milieu d’un pays relativement civilisé.

Les habitans de ce coin de terre peu favorisé par la nature et par l’administration n’avaient pas eux-mêmes une trop bonne réputation. Que les hommes fussent robustes, intelligens et vaillans, que les filles fussent belles, avenantes et aimables, c’est ce dont tout le monde convenait ; mais les hommes avaient, dit-on, l’humeur batailleuse, aimaient un peu trop le bien d’autrui et les procès. Quant aux filles, Sbrigani les eût appelées des coquettes achevées. Il est juste de dire qu’une fois mariées elles devenaient généralement d’irréprochables mères de famille. Ces braves gens croyaient à leur curé et aux loups-garous, et ne connaissaient le gouvernement que par la conscription et l’impôt. Il ne faut pas croire qu’ils aimassent le gendarme et le percepteur ; cependant ils