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sa voix avant de prendre un parti, monta auprès de lui avec plus de résolution que d’adresse, et attendit en silence le second coup de sifflet.

Christian supposa que cet homme n’entendait pas le norvégien, et comme il connaissait désormais presque tous les dialectes du Nord, il essaya de l’interroger, mais en vain ; l’inconnu demeura muet, comme si l’effroi de se voir suspendu à mi-chemin de l’abîme eût paralysé ses facultés. Le tonneau ou sceau des mines est, comme on le sait, formé de douves épaisses cerclées de fer, et qu’il faut pourtant diriger dans les grandes excavations. Christian, déjà très habitué à ce mode de transport, manœuvrait très adroitement. Debout sur le rebord, un bras passé dans la corde, il frappait légèrement du pied les parois du puits quand le balancement menaçait d’y briser le sceau, et, renonçant à arracher un mot à son camarade de voyage, il s’était mis à chanter tranquillement une barcarole vénitienne, quand le seul de ses pieds qui portât en ce moment sur le bord du véhicule fut traîtreusement poussé avec assez de vigueur pour perdre son point d’appui et se trouver lancé dans le vide.

Heureusement Christian, qui était, par habitude, aussi prudent que hardi, avait le bras gauche solidement passé dans la corde, et il glissa à peu près comme ferait un panier pris par son anse, sans lâcher prise ; mais l’inconnu, élevant son marteau tranchant, se mit en devoir de frapper d’abord sur la main droite de Christian, qui avait assuré son salut en saisissant le bord du tonneau. C’en était fait, sinon de lui, du moins d’une de ses mains, sans le balancement et l’inclinaison subite que le poids de son corps imprima au tonneau. Ses pieds pendans vinrent frapper un second sceau qui descendait auprès de lui, et il put donner au premier une telle secousse que l’assassin fut forcé de se prendre lui-même aux cordes pour n’être pas lancé dehors.

Ce moment d’effroi suffit à Christian pour se cramponner à l’autre corde et sauter dans l’autre tonneau, qui remonta avec rapidité, tandis que celui où l’assassin restait seul disparaissait à ses yeux avec une rapidité plus grande encore. Christian, arrivé au bord du puits, venait de sauter sur les planches qui le surplombent, lorsqu’un sourd rugissement monta vers lui des profondeurs de l’abîme, tandis que la fantastique figure de Stangstadius apparaissait toute souriante à ses côtés pour lui dire : Hé ! mon cher baron, venez donc vite ! On ne veut pas souper sans vous là-bas, et je meurs d’inanition !

— Mais que s’est-il donc passé ? s’écria Christian, sans lui répondre, en s’adressant aux ouvriers qui manœuvraient la poulie. Où est l’autre tonneau ? où est l’homme ?…