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errer des figures singulièrement agitées. Parmi ces figures, il reconnut quelques-uns de ceux qui lui avaient été désignés au bal comme les héritiers présomptueux du châtelain. Ils paraissaient très émus, se parlaient bas, et se tournaient à chaque instant vers une porte par laquelle ils semblaient attendre avec anxiété une nouvelle importante.

Sans leur donner le temps de l’examiner et de comprendre ce qu’il faisait, Christian franchit cette porte, se disant que par là probablement il arriverait aux appartemens du baron ; mais en suivant un assez long couloir, il entendit pousser d’horribles gémissemens. Il se mit à courir de ce côté, et entra dans une chambre ouverte, où il se trouva tout à coup en présence de Stangstadius, qui, tranquillement assis, lisait une gazette auprès d’une petite lampe à chapiteau, sans paraître le moins du monde ému des plaintes effrayantes qu’on entendait de plus en plus rapprochées et distinctes.

— Qu’est-ce que cela ? lui dit Christian en lui saisissant le bras. N’est-ce point par ici que l’on donne la torture ?

Sans doute Christian, le couteau à la main, avait une physionomie peu rassurante, car l’illustre géologue bondit effrayé en s’écriant : — Qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce que vous voulez ? qu’est-ce que vous parlez de…

— L’appartement du baron ! répondit laconiquement le jeune homme, d’un ton si absolu que Stangstadius ne songea pas à discuter.

— Par là ! répondit-il en lui montrant la gauche.

Et, très content de le voir s’éloigner, il reprit sa lecture, en se disant que le châtelain avait d’étranges bandits à son service, et qu’on rencontrait dans ses appartemens des gens que l’on ne voudrait pas rencontrer au coin d’un bois.

Christian traversa encore un cabinet, et trouva une dernière porte fermée. Il la fit sauter d’un coup de poing. Il eût enfoncé en ce moment les portes de l’enfer.

Un spectacle lugubre s’offrit à sa vue. Le baron, en proie aux convulsions d’une terrible agonie, se débattait dans les bras de Johan, de Jacob, du médecin et du pasteur Akerström. Ces quatre personnes avaient à peine la force d’empêcher qu’il ne se jetât hors de son lit pour se rouler sur le plancher. La crise qu’il subissait était si poignante, et les gens qui l’entouraient si absorbés, qu’ils ne s’aperçurent pas du bruit que Christian avait fait pour entrer, et ne se retournèrent qu’au moment où le moribond, dont la figure était tournée vers lui, s’écria avec un accent de terreur impossible à rendre : « Voilà… voilà… voilà mon frère ! »

En même temps sa bouche se contracta, ses dents coupèrent sa