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tombèrent et se bordèrent à la fois. Aussitôt que le vent les gonfla, l’embossure fut coupée comme l’avait été le câble. Le bâtiment, couché sur le côté, tirait moins d’eau et glissait avec plus de facilité sur la vase. Nous n’avancions cependant que par une succession de mouvemens convulsifs. La mer déferlait sur le brick comme sur un rocher, et les embruns atteignaient à la hauteur des hunes. Il avait fallu ouvrir les sabords pour faciliter l’écoulement des eaux et tendre des cordes d’un bord à l’autre pour empêcher les matelots d’être emportés par les lames. Je n’ai vu de ma vie une lutte plus émouvante. Nous nous traînâmes ainsi pendant près d’un mille. Insensiblement la mer devint moins grosse, le fond augmenta, et nous pûmes faire route vers l’entrée de la rivière de Cayenne; mais il nous fut impossible de passer au large des îlets, et je dus jeter l’ancre sous l’îlet de la Mère. Le temps s’était beaucoup embelli. Je ne savais pas alors que les redoutables ras de marée de la Guyane française augmentent de force avec le flot et s’apaisent en général avec le jusant. Le calme dont nous jouissions était dû à cette circonstance. Nous passâmes assez tranquillement la première moitié de la nuit. A deux heures du matin, au moment de la marée montante, le vent s’éleva de nouveau avec violence, la mer se gonfla, et les brisans reparurent de toutes parts autour de nous. Au jour, le ras de marée était dans toute sa force. Le brick ne tarda pas à chasser. Je fis mouiller une seconde ancre, notre dernière ressource, après avoir pris soin d’y ajouter, pour en augmenter le poids, deux de nos canons amarrés en croix. Cette ancre ne suffit pas pour nous arrêter. En chassant, le brick vint en travers :

…………….Proram avertit et undis
Dat latus…………….


Une vague énorme se dressa sur son flanc, prête à l’ensevelir. Les deux câbles cassèrent à la fois. Le bâtiment, n’ayant plus rien qui pût le retenir, présenta sa poupe à la lame et courut s’échouer sur la vase.

Dans cette position, il n’en continua pas moins à s’avancer vers la côte avec une grande vitesse, se frayant sans peine un passage à travers la boue, presque aussi liquide que l’eau de ces parages. Il ne s’arrêta que lorsqu’il se trouva enfoncé au milieu des palétuviers. A la basse mer, nous n’avions plus que huit pieds d’eau autour de nous. Le bâtiment avait fait son lit dans la vase, et il ne me restait plus pour le retirer de cette couche immonde ni une ancre, ni un câble. Je me décidai à envoyer un officier réclamer des secours à Cayenne. Deux jours après, nous vîmes arriver une canonnière qui nous portait deux ancres et deux câbles. Malheureusement, quand