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seul moyen de terminer la lutte, puisque notre artillerie n’avait que trop montré son impuissance. Je finis donc par céder à des conseils importuns, et je fis orienter les voiles pour tenir le plus près. En quelques minutes, nous eûmes perdu de vue le bâtiment ennemi, qui continuait à courir vent arrière. Peut-être le parti que je me résignais à prendre était-il en effet le plus sage. Le négrier qui nous avait échappé se nommait le Toscan. Il tomba quelques jours plus tard au pouvoir de la frégate française la Médée, mais il ne se rendit qu’après avoir essuyé pendant deux heures le feu de cette frégate et lui avoir mis dix-sept hommes hors de combat. Armé de vingt-deux canons de 9 et monté par soixante hommes d’équipage, il avait exercé un certain nombre de ses captifs à la manœuvre du canon, et avait trouvé dans l’emploi de ces auxiliaires le moyen de servir ses pièces avec autant de rapidité et de précision qu’un navire de guerre.

Tel fut mon premier combat. J’en sortis avec la satisfaction d’un homme qui vient de subir une délicate épreuve, et qui sait que le sifflement d’un boulet ne lui fera pas peur. J’avais vingt-quatre ans, une expérience suffisante de la mer. Il ne me manquait que cette grande consécration qu’on a, non sans raison, nommée le baptême du feu. Je venais de la recevoir sur le pont d’un bâtiment que je commandais. A dater de ce moment, mon éducation de marin était terminée. Je pouvais me considérer comme l’égal des plus vieux capitaines, dans ce temps surtout où personne n’avait encore vieilli dans le commandement et où des généraux de mon âge marchaient à la tête des armées.

Les vingt-quatre heures que j’avais employées à la poursuite du Toscan, la direction surtout dans laquelle ce navire m’avait entraîné ne me laissaient plus guère de doutes sur l’impossibilité où je me trouverais de doubler à la bordée le cap San-Roque. Le 11 janvier 1797, j’aperçus la terre. C’était une côte très basse, qui se prolongeait à perte de vue dans le sud-sud-est. Je m’en approchai avec précaution, jetant constamment la sonde et dirigeant moi-même la marche du haut des barres de perroquet. Cette côte du Brésil m’était à bon droit suspecte. Je l’avais longée d’assez près dans notre précédente croisière, et j’avais remarqué les énormes erreurs qu’avaient commises les géographes lorsqu’ils en avaient tracé le contour. La pointe sur laquelle nous venions atterrir était le cap Toiro, situé à vingt-six milles environ dans le nord-nord-ouest du cap San-Roque. Je me décidai aussitôt à prendre la bordée du nord et à courir au large pendant quarante-huit heures. J’espérais qu’avec la brise très fraîche qui régnait alors, et qui nous faisait filer continuellement de sept à huit nœuds, je pourrais doubler facilement, en revirant de