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feu des petits obusiers qui armaient l’avant de ces embarcations. La majeure partie des hommes étaient encore à terre, criant à la trahison et ne sachant prendre aucun parti. L’arrivée de l’aspirant Michon fit cesser cette panique ; il rallia quelques hommes et parvint à tenir les Portugais en respect. Pendant qu’il pourvoyait ainsi au salut de tous, un misérable, indigne du nom de Français, s’approcha du malheureux sacristain que l’avant-garde avait conservé comme otage, et lui tira à bout portant un coup de fusil dans la tête. Cet acte infâme devait demeurer impuni. On ne voulut le considérer que comme une juste représaille du meurtre de notre compagnon, tandis qu’en réalité c’était un horrible assassinat.

Lorsque les embarcations eurent regagné la Biche et le Milan, les officiers se trouvèrent en butte aux accusations les plus graves. On prétendait que, pendant la déroute, ils étaient en tête des fuyards et que les coups de fusil tirés sur eux par leurs propres soldats n’avaient pu les arrêter. Toutes les versions les signalaient comme des traîtres. Le commandant Raimbaud, pour calmer l’irritation générale, annonça qu’il allait ordonner une enquête et qu’il ferait traduire devant un conseil de guerre tous ceux qui s’étaient mal conduits dans cette déplorable affaire; mais il se garda bien de tenir sa promesse. Il aurait eu trop de coupables à punir.

Deux jours après ce triste événement, je poursuivis et je capturai, au milieu des roches des Abrolhos, un magnifique trois-mâts anglais, l’Indian-Trader, armé de dix-huit canons du calibre de seize. Un brick portugais sorti de Fernambouc ne tarda pas à tomber également en mon pouvoir. Ce furent nos dernières prises. Nous n’avions plus rien à attendre dans des parages où notre présence avait été signalée sur tous les points de la côte. Notre eau et nos vivres allaient d’ailleurs s’épuiser. Le commandant Raimbaud dut se résoudre à lever la croisière et à faire route pour le port de Cayenne, où nous entrâmes, le 10 septembre 1796, avec nos deux prises.

Ainsi se termina une campagne dans laquelle nous eussions pu, si les circonstances nous eussent favorisés, causer plus de mal encore à l’ennemi. Nous aurions eu tort cependant de nous plaindre de la fortune, puisqu’elle nous avait épargné la rencontre des croiseurs anglais, car jamais navires ne furent dans de plus méchantes conditions que les nôtres pour en venir aux mains avec un ennemi sérieux. Certes ce n’étaient point là les traditions dans lesquelles j’avais été nourri : la marine française cherchait autrefois les occasions de combattre bien plus que les occasions de piller; mais en 1796, se sentant impuissante à se préparer aux grandes luttes, elle sacrifiait pièce à pièce son matériel à moitié disparu. Si la France, au lieu de