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étions échoués pendant cette nuit terrible, j’aurais volontiers donné la moitié du brick à qui m’eût promis de sauver l’autre.

Dès que nous fûmes hors de ce dédale, je cherchai des yeux la corvette, dont nos signaux de détresse n’avaient pu jusqu’alors attirer l’attention. Je l’aperçus qui tenait le vent à près de deux lieues de nous et ne semblait pas faire de grands efforts pour se rapprocher de la terre. Je fis route immédiatement pour la rejoindre. Quelques heures après, j’étais le long de son bord. J’avais le sentiment d’avoir été abandonné dans un péril où l’on m’avait follement engagé. Aussi me plaignis-je avec amertume de n’avoir point reçu de réponse aux signaux que je n’avais cessé de faire pendant toute la nuit. Ignorait-on que c’était sur un rivage ennemi que nous avions fait côte, et que dans ce naufrage nous n’aurions probablement eu aucun quartier à attendre des Portugais? En tout cas, l’abandon où l’on nous avait laissés était sans excuse, et ne pouvait que nous inspirer peu de confiance en nos compagnons. Le commandant de la Biche m’assura que sa corvette avait été, elle aussi, gravement compromise, qu’elle avait même talonné sur les roches, que, tout préoccupé de la tirer d’un danger imminent, il n’avait pu prêter attention à nos signaux, et songer, avant le jour, à s’enquérir de notre sort. Il sut ajouter à cette justification quelques propos flatteurs sur la manière dont je m’étais tiré d’une aussi rude épreuve. L’éloge, de quelque bouche qu’il vienne, est doux à un jeune officier. Je sentis peu à peu ma rancune s’évanouir, et je pris, sans trop d’hésitation, la main qu’on me tendait; mais je conçus dès lors une fâcheuse idée de l’avenir de notre croisière.

Depuis plusieurs jours, nous errions vainement de la baie de Tous-les-Saints à Porto-Seguro. Aucun bâtiment ennemi ne s’aventurait hors du port. Le temps était très beau et paraissait favorable pour une descente. Le commandant de la Biche résolut d’aller chercher fortune à terre, puisque les flots restaient sourds à nos vœux. Nous avions remarqué un monastère situé sur une éminence et peu éloigné du bord de la mer. Les prisonniers portugais provenant de la goélette que j’avais capturée désignaient cet édifice sous le nom de couvent de Santo-Antonio. Ils attribuaient aux moines qui l’habitaient de fabuleuses richesses, et prétendaient que des millions de piastres, destinées à payer la rançon du roi de Portugal dans le cas où il viendrait à tomber entre les mains des Français, avaient été déposés, par la prévoyance de ce souverain, dans le trésor du couvent. Quelque ridicule que dût paraître cette absurde légende, elle n’avait point manqué d’obtenir un grand crédit à bord de nos bâtimens. Le commandant Raimbaud fit former une compagnie de débarquement de cent vingt hommes qu’il plaça sous les ordres des lieutenans en