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droits à sa part de dépouilles. Ce fat à qui se jetterait le premier à bord de la goélette. On y trouva des sommes d’or assez considérables qui devinrent la proie de quelques effrontés pillards. Parmi eux, j’ai le regret de le dire, se liront remarquer des officiers qui ne craignirent pas, en cette occasion, de déshonorer leurs épaulettes. Quand on ne trouva plus rien à prendre, on mit, comme d’habitude, le feu à la goélette, et nous fîmes route vers le sud.

Arrivés à la hauteur de la ville de Porto-Seguro, je reçus encore une fois l’ordre de me porter vers la terre pour la reconnaître. Les cartes de la côte du Brésil n’avaient pas à cette époque l’admirable précision qu’ont su leur imprimer les beaux travaux exécutés en 1819 par l’amiral Roussin. Je naviguais donc la sonde à la main, et en prenant les plus minutieuses précautions. Je découvris ainsi, à une assez grande distance du rivage, une chaîne de brisans qui s’étendait presque parallèlement à la côte. Au coucher du soleil, je ralliai la corvette, et je prévins le commandant du danger qu’il y aurait à prolonger de nuit nos bordées vers la terre, surtout lorsque le temps, très chargé déjà, menaçait de devenir orageux. Mes conseils furent d’abord écoutés. Nous courûmes pendant quelque temps au large; mais à huit heures du soir nous fîmes de nouveau route pour nous rapprocher de la côte. Cette imprudence faillit nous coûter cher. J’en avais le pressentiment, et malgré l’étrange quiétude dont on me donnait l’exemple, je ne voulus pas résister plus longtemps à mes justes appréhensions.

Il était dix heures moins quelques minutes; je venais de donner l’ordre à l’officier de quart de virer de bord. Déjà la proue du bâtiment s’était détournée de la terre, lorsqu’une affreuse secousse arracha le gouvernail de ses gonds, et m’apprit que nous étions échoués. Nous laissâmes aussitôt tomber une ancre, dans la crainte que la houle, qui battait en côte, n’empirât encore notre situation. Je fis mettre les embarcations à la mer, et je les envoyai sonder dans toutes les directions. Le brick était monté sur une roche presque plate et sans aspérités. La patte de l’ancre que nous avions mouillée dépassait de plusieurs pieds la surface de la mer, tandis que, sous la poupe, la sonde accusait sept brasses d’eau. Ce fut naturellement de ce côté que je fis tomber une ancre, munie d’un fort grelin dont la chaloupe me rapporta le bout à bord. Dès que j’eus ce point fixe, je conçus l’espoir de faire descendre le Milan de la rampe qu’il avait gravie, et sur laquelle il se tenait immobile et droit, comme eût pu le faire un navire sur sa cale. Depuis plus d’un quart d’heure cependant le cabestan se tordait sous l’effort de cent bras vigoureux, sans que le brick eût fait un mouvement. L’orage qui s’était lentement amassé à l’horizon, pendant les dernières