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chaloupe du brick, et aussitôt que je les eus expédiés pour le port d’Angra, je laissai l’équipage du Milan faire main-basse sur ces provisions, qui, vendues par des Portugais à des Anglais, étaient, à ce double titre, de bonne prise. Quand le bâtiment capturé fut à peu près vide, j’y mis le feu, conformément aux instructions que nous avions reçues. Tel était encore un des mauvais côtés de notre situation maritime. Nos croiseurs pouvaient bien nuire au commerce ennemi, ils n’avaient jamais la chance de s’enrichir. La plupart des navires dont nous nous emparions étaient à l’instant détruits, les autres retombaient presque infailliblement entre les mains des Anglais.

Dès que j’eus pu rejoindre la Biche et l’Espoir, je partageai consciencieusement avec nos compagnons les dépouilles du brick portugais. Je fis connaître au commandant de la Biche la position présumée de la division anglaise. D’après quelques lettres trouvées à bord de la prise, cette division devait être en ce moment mouillée sous l’île Sainte-Marie. Nous forçâmes de voiles toute la nuit pour nous éloigner de ce dangereux voisinage. Le vent était très frais et des plus favorables. Avant que le jour parût, nous nous étions mis à l’abri de toute poursuite. Nous aperçûmes cependant au lever du soleil plusieurs bâtimens sur différens points de l’horizon; mais leur apparence dénotait plutôt des navires de commerce que des bâtimens de guerre.

Il était rare, à cette époque, qu’une voile en vue ne fût pas pour un navire français une voile ennemie. Le capitaine Raimbaud indiqua par signal au Milan et à l’Espoir les bâtimens à la poursuite desquels chacun de ces bricks devait s’attacher, et il se dirigea lui-même vers le navire qui semblait lui promettre la plus importante capture. Il ne s’était pas trompé : ce bâtiment, qu’il eut bientôt atteint, était un trois-mâts portugais, nommé l’Endorina. Il venait du Brésil. Sa cargaison, composée de sucre, d’indigo et de cochenille, était évaluée à plus de 1,800,000 francs. On eût pu, je le crois, essayer de sauver une si belle prise en la dirigeant sur Cayenne; il est probable que l’Endorina y fût arrivée sans encombre. On préféra livrer ce bâtiment aux flammes après l’avoir pillé. Ce pillage, exercé par des matelots peu disciplinés et presque tous ivres, ne fut profitable à personne. De pauvres passagers furent dépouillés de tous leurs effets et plus maltraités que s’ils fussent tombés au pouvoir de forbans. Si on leur eût témoigné plus de générosité, ils nous auraient probablement fait connaître en temps opportun ce qu’ils nous apprirent trop tard : c’est que sous ce chargement qu’on avait si indignement dévasté étaient disposés des lingots d’or d’une valeur très considérable.