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vifs que j’aie ressentis dans le cours d’une carrière à laquelle peu d’épreuves ont été épargnées, lorsque la division anglaise qui bloquait l’embouchure de la Charente s’éloigna de nouveau. Le capitaine de vaisseau le plus ancien lit signal à tous les bâtimens de mettre sous voile, et le 24 mai 1796 nous sortîmes du Pertuis-d’Antioche. Les frégates la Cocarde, l’Harmonie, la Néréide, la Railleuse, l’Embuscade, la Coquille, la Sirène, la Décade, et quatre ou cinq autres bâtimens dont les noms m’échappent, nous escortèrent jusqu’à la hauteur du cap Finistère. Là, tous ces bâtimens se partagèrent en petites divisions de deux ou trois navires, et chacun se sépara pour aller, suivant ses instructions, chercher fortune dans une direction différente.


II.

Nos trois bâtimens devaient s’établir en croisière sur la côte du Brésil, mais nos instructions étaient muettes sur la route que nous devions suivre pour nous y rendre. Le commandant de la division pensa que le chemin le plus long pourrait bien être, dans ce cas, le meilleur, et il se dirigea vers l’archipel des Açores. Si ce n’était point la route la plus habituelle pour aller en Amérique, c’était du moins celle qu’on suit presque invariablement pour en revenir. Ce n’était donc pas une mauvaise inspiration que d’aller se placer sur le passage des nombreux bâtimens que les vents alises avaient dû conduire à la hauteur des Açores, et qui, de ces parages où règnent d’ordinaire les vents d’ouest, cinglaient probablement à pleines voiles vers l’Europe.

Le 3 juillet, nous étions en vue de Terceire. Le brick que je commandais ayant, malgré sa vétusté, un grand avantage de marche sur la corvette la Biche et sur le brick l’Espoir, j’étais, depuis notre départ, chargé d’éclairer la route de la division. Marchant toujours en avant, ce fut moi qui fis la première prise. Je serrais d’aussi près que possible la côte sur laquelle s’élève la ville d’Angra, lorsque j’aperçus un brick de commerce portugais qui sortait sans défiance du port. Je lui coupai la route, et l’atteignis à une demi-lieue environ des batteries de la ville. Ce brick n’était pas une capture bien riche; nos équipages ne l’auraient pas cependant échangé contre un galion : il portait à la division anglaise chargée de surveiller les atterrages des Açores non pas des munitions de guerre, mais ce qui n’est pas moins nécessaire au matelot anglo-saxon, d’abondantes et plantureuses munitions de bouche. Le marin français est de race plus frugale; il n’est pas pour cela insensible aux joies de la maraude. Je me hâtai donc de faire embarquer nos prisonniers dans la