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rine écartait pour le moment toute idée de retour aux grandes luttes de la dernière guerre. Il fut arrêté dans les conseils du directoire que, malgré le renfort considérable qui venait de nous être apporté par l’adjonction de la marine espagnole, on n’offrirait point à l’ennemi l’occasion de désastreux triomphes dans des batailles rangées. On s’attaquerait par des armemens de course à son commerce, et par une grande expédition militaire à son territoire. Le corps expéditionnaire, à la tête duquel on avait placé le général Hoche et le vice-amiral Morard de Galles, se rassemblait à Brest, et avait pour destination l’Irlande. Les armemens de course avaient lieu à la fois dans tous les ports de l’Océan, et devaient se porter dans la mer des Indes et dans celle des Antilles, sur le banc de Terre-Neuve et sur les côtes orientales d’Amérique, des confins de la Guyane française à l’embouchure de la Plata. C’était à une de ces croisières, dans lesquelles nos navires de guerre avaient pour émules les corsaires de Saint-Malo, de Dunkerque, de Nantes et de La Rochelle, que le brick dont le commandement venait de m’être confié devait prendre part.

Le 21 mars 1796, je quittai Paris pour me rendre à Rochefort, où se trouvait déjà réuni un assez grand nombre de frégates et de bâtimens légers. Le brick que j’étais appelé à commander se nommait le Milan. Ce brick avait autrefois porté vingt-deux canons du calibre de 6; mais son état de vétusté ne permettait plus de lui imposer la charge d’une pareille artillerie. Ses canons de 6 furent en conséquence remplacés par des canons du calibre de 4. Ces misérables mousquetons ne valaient pas, à eux tous, deux de ces bonnes caronades que les Anglais commençaient à fondre en Écosse, et dont ils projetaient d’armer les gaillards de leurs vaisseaux et le pont de leurs bâtimens de rang inférieur. Les canons de 4 du Milan pouvaient faire un feu vif et nourri; mais les projectiles qu’ils lançaient étaient incapables de traverser une muraille de quelque épaisseur.

Avant d’entrer en armement, le Milan avait subi des réparations considérables. Ces travaux avaient été exécutés avec si peu de soin et tant de précipitation, que, sur la rade même de l’île d’Aix, une voie d’eau s’était déclarée. L’équipage était obligé de recourir aux pompes cinq ou six fois par jour. Je me permis bien quelques observations à cet égard, mais en 1796 on n’y regardait pas de si près; on se contenta de me répondre que ma mission était urgente et ne souffrait pas de retards. Je me disposai donc à partir dans cet état, comptant sur ma bonne fortune, ou, pour mieux dire, sur la protection de la Providence, qui m’avait tiré de plus grands dangers. Ce n’était pas d’ailleurs de la coque du brick que j’aurais eu le plus à me plaindre. L’équipage ne comptait pas dix matelots capables de