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que nous avons courus, un petit nombre d’esprits seulement s’occupe d’une manière sérieuse de cette œuvre capitale. A la séance annuelle qui vient d’avoir lieu, M. Hippolyte Passy, après avoir rappelé l’origine de l’Académie, le caractère et le but de son institution, en un mot ses devoirs et ses droits, a terminé son remarquable discours en déplorant l’indifférence que garde vis-à-vis de l’économie politique un public qui ne s’attache aux choses les plus sérieuses qu’à la condition banale de vogue et de distraction. N’y a-t-il pas là cette espèce d’injuste défiance qui reste toujours après un espoir déçu, alors même qu’on n’a pas la conscience exacte du mal éprouvé?

La plupart des questions proposées pour cette année par l’Académie des Sciences morales et politiques ont été, faute de mémoires convenables ou même par suite d’une absence totale de manuscrits, remises au concours; aussi le véritable intérêt de la séance a-t-il été dans la notice lue par M. Mignet sur M. de Schelling. Schelling est le philosophe allemand du XIXe siècle qui est le plus goûté en France, — encore de réputation, car la masse du public "éclairé" ne le connaîtra jamais mieux qu’après cette fine et française analyse de M. Le secrétaire perpétuel. Il est poète, il n’a d’autre méthode que l’hypothèse, d’autre logique que l’imagination; il a écrit un livre dont le titre, "Philosophie de la nature", nous alléchera toujours, nous autres élèves de Rousseau, et n’effraiera pas les allures pacifiques de notre philanthropie. Schelling est en un mot le plus doux et le plus mitigé des panthéistes. L’éloquence de M. Mignet a fait vivement ressortir la part de véritable grandeur qu’il faut néanmoins reconnaître dans les inspirations de ce philosophe; mais les objections qu’il n’a pu s’empêcher de faire à l’ensemble du système composent à notre avis les pages les plus travaillées de son discours, et ce ne sont pas les moins pénétrantes. Ce n’est pas sans intention que M. Mignet a comparé quelque part au vague et à la stérilité de l’idéalisme allemand la philosophie du XVIIIe siècle, cette philosophie "tout humaine" suivant son expression, qui avait établi au plus haut degré l’alliance du progrès corrélatif dans les sciences et dans les idées, alliance qui a manqué jusqu’ici au XIXe siècle, et que nous nous efforçons à l’heure présente de reformer. Schelling était une puissante imagination, nous ne pouvons le contester; mais le plus grand malheur qui puisse arriver à ces poétiques esprits, chez qui tout n’est qu’intuition, c’est d’être appréciés par un talent aussi net et aussi incisif que celui de M. Mignet. Malgré l’admiration dont ils sont alors l’objet, cette parole franche et simple les dépouille, sans le vouloir, de la "colonne de nuée" où ils s’enveloppaient : si elle les fait comprendre, elle les fait en même temps juger.

La séance publique annuelle des cinq académies n’a offert qu’un assez médiocre intérêt : l’Italie en a fait les frais principaux. Une notice sur Conradin de M. Ch. Giraud, une pièce de vers sur Manin par M. Legouvé, ont à peu près occupé le temps ordinaire consacré à cette solennité. Certes c’est un curieux hasard que ce rapprochement académique entre le défenseur de Venise et le descendant des Hohenstaufen : n’est-ce pas le moyen âge mis en présence des temps modernes, l’ambition et la fougue de la jeunesse jouant sa vie pour une couronne royale opposée au désintéressement, au calme d’un homme d’honneur combattant pour la liberté de sa patrie? L’échafaud