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pas peu à sa mélancolie. Le soleil, couché ou non, avait entièrement disparu dans un de ces brouillards qui enveloppent parfois soudainement son déclin ou son apparition dans les jours d’hiver. C’était un voile lourd, morne, d’un gris de plomb, qui s’épaississait à chaque instant, et qui bientôt ne laissa plus rien de visible que le fond de la gorge, où il n’était pas encore tout à fait descendu. À mesure qu’il en approchait, il se développait en ondes plus ou moins denses, et refusait de se mêler à la fumée noire qui partait de grands feux allumés dans les profondeurs pour préserver quelques récoltes ou pour conserver libre quelque mince courant d’eau.

Christian ne demanda même pas à Olof quel était le but de ces feux ; il se laissait aller au morne amusement de regarder poindre leurs spectres rouges, comme des météores sans rayonnement et sans reflet, sur les bords du stream, et à suivre la lutte lente et triste de leurs sombres tourbillons avec la brume blanchie par le contraste. Le torrent glacé se montrait encore ; mais, par d’étranges illusions d’optique, tantôt il paraissait si près du chemin, que Christian s’imaginait pouvoir le toucher du bout de son fouet, tantôt il s’enfonçait à des profondeurs incommensurables, tandis qu’en réalité il était infiniment moins loin ou infiniment moins près que les jeux du brouillard ne le faisaient paraître.

Puis vint la nuit avec son long crépuscule des régions du Nord, ordinairement verdâtre, et ce soir-là incolore et livide. Pas un être vivant dans la nature qui ne fût caché, immobile et muet. Christian se sentit oppressé par ce deuil universel, et peu à peu il s’y habitua avec une sorte de résignation apathique. Olof avait mis pied à terre pour descendre, en tenant le cheval par la bouche, presque à pic au bord du lac, lequel ne présentait qu’une masse de vapeurs sans limites. Christian s’imaginait descendre d’un versant escarpé du globe dans les abîmes du vide. Deux ou trois fois le cheval glissa jusqu’à s’asseoir sur ses jarrets, et Olof faillit lâcher prise et l’abandonner à son destin avec le traîneau et le voyageur. Celui-ci se sentait envahi par une mortelle indifférence. Le fils du baron ! ces quatre mots étaient comme écrits en lettres noires dans son cerveau, et semblaient avoir tué en lui tout rêve d’avenir, tout amour de la vie. Ce n’était pas du désespoir, c’était le dégoût de toutes choses, et dans cette disposition il ne se rendait compte que d’un fait immédiat : c’est qu’il se sentait accablé de sommeil, et qu’il consentait à s’endormir pour jamais en roulant sans secousse au fond du lac. Il s’était même assoupi au point de ne plus savoir où il était, lorsqu’une voix aussi faible que le crépuscule, aussi voilée que le ciel et le lac, chanta près de lui des paroles qu’il écouta et comprit peu à peu.

« Voilà le soleil qui se lève, beau et clair, sur la prairie émaillée