Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paralysera les mouvemens des navires entrant ou sortant; l’inextricable dédale du Bas-Amour sera évité à la navigation intérieure, et enfin, point important, on sera en face des riches mines de charbon signalées à la baie de la Jonquière, dans l’île Saghalien. La nature, on le voit, a fait la part assez belle aux Russes, dans leur récente et facile acquisition, pour que l’on puisse en même temps reconnaître tout ce qu’il leur reste à créer avant que le Pacifique et la mer de Chine comptent à Nicolaief un centre commercial de plus. C’est à l’avenir de montrer si les nouveaux possesseurs de ce diamant brut sauront lui donner sa valeur.

Que la côte de la Mantchourie devienne russe jusqu’à la presqu’île de Corée, qu’il en soit de même de l’île Saghalien tout entière, que la Manche de Tartarie, en un mot, soit russe de fait et de droit, comme déjà elle est sibérienne de nature et de situation, c’est ce que l’on doit incessamment s’attendre à voir passer à l’état de fait accompli. Et si, comme tout permet de l’espérer, ce changement de maître est pour ces contrées le signal d’une ère nouvelle, chacun ne peut qu’y applaudir; moins que tout autre, je le répète, nous aurions le droit de le blâmer, nous qui, après avoir les premiers pénétré dans ces mers, avons attendu trois quarts de siècle pour y reparaître. Toutefois ce serait à tort que l’on voudrait y voir dès maintenant ce qui ne peut être que le résultat d’un avenir encore éloigné. Ce pays n’était rien hier, il est quelque chose aujourd’hui; malheureusement il est à craindre que ce qui lui manquait hier ne lui manque encore de longues années : je veux parler de l’élément qui fait la véritable richesse d’un sol, la population, car il en est de la colonisation comme de la guerre, où la victoire est toujours du côté des gros bataillons.

Cette population qui fait défaut sur toute la vaste ligne de côtes convoitée par la Russie, nous la trouvons dans les îles qui achèvent d’enclore cette mer, dans ce Japon inconnu, où pullulent, selon les uns cinquante, selon d’autres cent millions d’habitans. C’est là le terrain commun sur lequel devaient se rencontrer les puissances européennes, la Russie avec l’ascendant de son redoutable voisinage, l’Angleterre et les États-Unis accompagnés de leurs puissantes marines. Elles s’y rencontraient précisément à la date des événemens que nous avons exposés. C’était pour conclure son traité avec le Japon que l’amiral anglais abandonnait au commodore Elliott la conduite des opérations militaires; c’était aussi pendant ses négociations avec la cour de Yédo que l’amiral Poutiatine voyait sa frégate se perdre dans le tremblement de terre de Simoda. Enfin le schooner qui emmenait à la baie de Castries une partie des naufragés de la Diana était le premier navire américain venu pour commercer