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tement sous les flots, qui se refermèrent en tournoyant au-dessus d’elle.

Cette perte plaçait l’équipage de la Diana dans une position que les circonstances rendaient délicate. Comment, dans ce Japon si bien isolé du reste de l’univers, trouver un navire pour regagner le territoire russe, et par quel moyen ensuite échapper aux nombreux croiseurs alliés de ces mers ? Si peu rassurante que fût cette perspective, les naufragés, livrés à leurs propres ressources, ne s’en mirent pas moins courageusement à l’œuvre. Le pays fournissait les matériaux les plus indispensables. On commença immédiatement à construire une goélette qui permit au moins à l’amiral d’atteindre la côte d’Asie, en attendant qu’une chance favorable se présentât pour le reste de l’équipage; mais tout le bon vouloir des ouvriers indigènes n’était que d’un faible secours aux charpentiers de la frégate : à chaque instant, les progrès du frêle navire étaient arrêtés par la confusion des langues, comme jadis les bibliques travaux de la tour de Babel. S’agissait-il de doubler ses flancs des feuilles de cuivre destinées à hâter sa marche, on apportait de massives pièces de métal qu’il fallait marteler péniblement jusqu’à ce qu’elles fussent réduites à l’épaisseur voulue. Enfin au mois de mai 1855 l’œuvre de patience fut accomplie, et l’amiral russe, accompagné de quelques hommes, réussit à gagner les bouches de l’Amour[1]. A peu près vers la même époque, un schooner américain s’était présenté et avait également réussi à faire passer un convoi de naufragés dans la Manche de Tartarie, où se trouvait la division de l’amiral Zavoïka. Enfin en juillet un brick brémois s’était chargé de transporter le leste de l’équipage dans la mer d’Okhotsk, que des renseignemens inexacts représentaient comme libre de toute croisière. C’était ce navire qu’une malencontreuse éclaircie dans la brume avait fait tomber entre nos mains, alors qu’il n’était plus séparé de la côte russe que par quelques heures de bon vent.

La présence des alliés dans la mer d’Okhotsk était désormais sans but, et le moment était venu pour les deux commodores de s’arrêter à un plan qui leur permit de terminer la campagne par un coup décisif. Peu de jours auparavant, les embarcations anglaises avaient capturé sur les bancs de l’Amour l’équipage d’un brick de la compagnie russo-américaine; elles s’étaient ainsi procuré

  1. C’est à cette date que l’on a voulu placer une histoire dénuée de fondement, d’après laquelle un baleinier français mouillé dans une baie voisine de Simoda, sur le point d’être attaqué par les embarcations russes, n’aurait dû son salut qu’à une fuite précipitée. C’eût été là une coupable violation de la neutralité japonaise; le fait véritable est au contraire que ce navire, le Napoléon III, rencontré en mai 1855 dans la Manche de Tartarie par l’amiral Zavoïka, s’était vu relâcher comme n’ayant pas eu connaissance de la déclaration de guerre. De semblables scrupules sont de ceux qui honorent un officier.