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lieu de se prosterner devant les Anglais, ils évitaient leur approche; entre leurs mains avait été trouvé un bouton timbré d’une ancre russe. L’ennemi ne pouvait être loin. Effectivement, le dimanche 20 mai, à peine le service divin était-il terminé qu’un navire est signalé sur la côte d’Asie; il est dans la baie de Castries, le dernier des mouillages indiqués par notre célèbre compatriote. On approche, et l’on reconnaît six bâtimens embossés dans la baie; on distingue les couleurs russes qui flottent à leur arrière; c’est la division du contre-amiral Zavoïka, sortie le 17 avril de Petropavlosk. Ce même jour, où les Anglais la trouvaient dans le fond de la Manche de Tartane, l’escadre alliée du Pacifique, envoyée à sa recherche, pénétrait dans la rade déserte d’Avatscha.

Cette rencontre plaçait le commodore anglais dans une situation embarrassante. Certes la marine britannique a donné trop de preuves, je ne dirai pas de sa bravoure, mais de sa témérité, pour qu’on pût douter de l’empressement avec lequel, dans des circonstances ordinaires, son chef eût mis à profit l’occasion qui se présentait; mais il n’avait sous ses ordres qu’une simple subdivision d’avant-garde, que les apparences tendaient à lui montrer comme bien inférieure à l’ennemi. Que n’aurait pas donné cet officier à qui lui aurait révélé la force réelle de l’escadre mouillée sous ses yeux, et quels regrets durent plus tard l’assaillir, quand il apprit que, des six navires qui étaient là devant lui, un seul, corvette de vingt canons, était armé en guerre, que les autres, l’Aurora elle-même, métamorphosés en transports, encombrés par l’évacuation de Petropavlosk, ne pouvaient mettre en batterie qu’un nombre de pièces insignifiant! Telle était effectivement la dangereuse situation de la division russe, mais les Anglais n’en devaient être avertis que trop tard. S’étant imprudemment éloignés après leur première reconnaissance, lorsqu’au bout de quelques jours ils se représentèrent à l’entrée de la baie de Castries, l’ennemi l’avait quittée : pour la seconde fois, l’amiral Zavoïka avait trouvé moyen de tromper la vigilance d’une escadre anglaise. Tout montrait du reste combien son départ avait dû être précipité : des malles pleines de vêtemens gisaient ouvertes à terre; des livres, des lettres, des objets de tout genre, et jusqu’à un portrait de femme, étaient épars sur le sol; enfin, détail significatif, des pains encore frais avaient été laissés près des fours. L’appareillage datait peut-être de la veille, peut-être de quelques heures seulement.

Qu’étaient devenus ces insaisissables vaisseaux? Étaient-ils remontés jusqu’au fond de la Manche de Tartarie pour pénétrer dans l’Amour? Avaient-ils doublé l’île Saghalien par le sud pour s’aller réfugier dans la mer d’Okhotsk? Il était difficile de se prononcer, car si d’une part le journal de La Pérouse présentait le fond du golfe