Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Japon. Bornons-nous à noter ici que, par l’établissement de relations directes avec les principales autorités du pays, le capitaine de la Constantine couronnait heureusement une mission remplie avec une véritable habileté. Dépourvu du titre diplomatique dont étaient revêtus les chefs des stations anglaise et américaine, il n’en avait pas moins su se placer sur le même pied que ces négociateurs; il avait fait obtenir à ses navires des privilèges égaux aux leurs, sans pour cela engager en rien sa responsabilité ni celle de son gouvernement; en un mot, on peut dire que, dans l’hypothèse probable d’une future ambassade française en ces pays, le commandant de Montravel lui avait préparé le terrain avec autant de soin de nos intérêts que de connaissance du caractère japonais. Toutefois le temps pressait, les réparations du Colbert étaient assurées, la Sibylle était prête, et le 31 mai, au point du jour, les deux frégates quittaient la rade de Nangasaki pour aller rejoindre la division anglaise en croisière dans la Manche de Tartarie.


II.

Au nord de la mer du Japon, resserré entre la côte asiatique et la longue île Saghalien, s’étend, sur une profondeur de cent cinquante lieues, l’étroit canal connu sous le nom de Manche de Tartarie. Découvert par La Pérouse[1], visité peu après par le commodore anglais Broughton, ce golfe n’avait depuis lors été l’objet d’aucune exploration, et par un étrange oubli, tandis que les escadres de nos alliés et les nôtres sillonnaient incessamment les mers de Chine, surveillant avec une jalouse sollicitude et nos progrès mutuels et les convulsions intérieures de l’empire du milieu, aucun navire ne recevait la mission de s’enquérir de ce qui se passait à l’extrémité septentrionale de cet empire. La guerre vint nous tirer de notre apathique indifférence. Les instructions de la subdivision anglaise dont nous avons parlé lui prescrivaient de fouiller la Manche de Tartarie pour y rechercher les vaisseaux russes qui pourraient s’y être réfugiés; dès les premiers jours de mai, sous les ordres du commodore Elliott, elle s’engageait dans ce golfe où, depuis soixante-dix ans, ne s’était montré le pavillon d’aucun bâtiment de guerre. L’implacable azur

  1. Il est difficile de se faire une idée de l’étrange confusion géographique à laquelle mit fin le voyage de La Pérouse. Non-seulement avant lui on ne savait pour ainsi dire rien de cette île Saghalien, qui n’embrasse pas moins de deux cents lieues d’étendue du nord au sud; mais à peine soupçonnait-on ce que pouvait être la disposition du groupe japonais. C’est ainsi qu’en 1788, c’est-à-dire pendant la campagne même de la Boussole et de l’Astrolabe, Philippe Buache, parlant de l’ile la plus septentrionale de ce groupe, écrivait dans ses Considérations géographiques cette curieuse phrase : « Le Jesso, après avoir été transporté à l’orient, attaché au midi, ensuite à l’occident, le fut enfin du nord... »