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du représentant de la puissance qui, systématiquement hostile à toute relation étrangère, a trouvé moyen de renchérir sur les séculaires traditions d’isolement du Céleste-Empire, cette démarche, dis-je, empruntait aux circonstances une valeur significative. Récemment en butte aux obsessions des États-Unis, de la Russie et de l’Angleterre, se défiant également du mercantilisme des premiers, de l’esprit envahissant des Russes, et de la tactique encore mal définie des Anglais, la cour de Yedo avait-elle compris que notre influence toute désintéressée pouvait utilement lui servir de contre-poids en présence de ces ambitions rivales? ce sentiment avait-il dicté les avances insolites que nous faisaient ses agens? Pour qui connaît jusqu’à quelle minutie de détails s’étend l’action de ce gouvernement sur ses subordonnés, il est permis de le supposer. Ajoutons que jamais encore n’avaient été nouées de relations officielles entre nous et les Japonais; la Constantine était le premier navire français admis à communiquer avec cet empire mystérieux.

« Le roi, écrivait jadis le courtisan Dangeau, me parut si gracieux que je lui demandai permission de faire faire une casaque bleue, ce qu’il m’accorda. » Nous sourions aujourd’hui en relisant ces souvenirs naïfs de l’étiquette empesée assise par le grand roi sur les marches de son trône. Que l’on juge de la surprise mêlée de curiosité avec laquelle nos officiers retrouvèrent au Japon la souveraine maussade et gourmée du XVIIe siècle dans toute la plénitude de sa puissance. Un volume ne suffirait pas à décrire les négociations préliminaires auxquelles donna lieu l’entrevue qui préoccupait tous les esprits dans la petite cour du gouverneur : ordre des embarcations, marche du cortège à terre, nombre des personnes, formalités d’introduction, tout pourtant avait fini par être réglé, que l’on était encore en suspens sur la grave question des sièges. «Asseyez-vous comme nous, » disaient ces bizarres maîtres des cérémonies. Les Japonais s’asseoient à terre, les jambes repliées, coutume qui leur développe jusqu’à la difformité les jointures des genoux. Le commandant ayant refusé de s’accroupir de la sorte, on lui offrit de rester debout, ce qu’il rejeta également, puis d’apporter lui-même ses chaises, solution qu’il eut la cruauté de trouver peu convenable; bref on était à bout de ressources, lorsqu’un audacieux novateur proposa d’emprunter à la factorerie hollandaise le nombre de sièges voulu, expédient qui leva les dernières difficultés. Le 25 mai, dès le matin, un mouvement inaccoutumé régnait dans la rade; des centaines de jonques richement pavoisées sortaient du port pour venir former la haie sur le chemin réservé à nos embarcations; les maisons, éparses sur la côte, se tendaient d’étoffes aux vives couleurs; partout flottaient les pavillons blancs et bleus du pays. A huit heures et demie, nos canots quit-