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Les nouvelles instructions étaient impératives. S’emparer à tout prix de la position de Petropavlosk, tel était le but imposé, et à cet effet, pour qu’en aucun cas la supériorité ne pût être douteuse, chaque division allait se voir renforcée de navires expédiés d’Europe. L’année précédente, un temps précieux avait été perdu à réunir les bâtimens des deux nations : cette fois le point de ralliement fut fixé à la mer, dans le sud du golfe d’Avatscha; tous les navires, épars sur la côte d’Amérique durent faire au plus tôt route directe sur le Kamchatka, et dès les premiers jours du printemps, de tous les points du Pacifique, ce fut une véritable course au clocher dirigée vers cet établissement, si peu connu de nous un an auparavant. Les forces qui devaient ainsi être réunies, dans un délai plus ou moins long, étaient plus que suffisantes pour parer aux éventualités même les moins probables; c’étaient chez nous cinq bâtimens, et chez les Anglais neuf, en tout plus de 450 canons!

Le rendez-vous était à une cinquantaine de lieues au sud de la baie d’Avatscha. Dès le 14 avril 1855, malgré le temps rigoureux qui à cette époque de l’année rend si difficile la navigation de ces mers, deux vapeurs s’y trouvaient, détachés de la station des mers de Chine. Un mois plus tard, l’amiral anglais y arrivait à son tour, accompagné de la frégate française l’Alceste, et le 20 mai l’escadre se dirigeait vers l’entrée de la baie. Bientôt se dessine le profil grandiose des terres, complètement ensevelies sous un immense linceul de neige, dont le suprême caractère de désolation ne saurait être compris que de ceux qui ont vu ces régions déshéritées. On pénètre dans le goulet; quelques instans encore, et l’on va voir ce port que l’on est venu chercher de si loin, où l’on est assuré cette fois de faire triompher les armes de France et d’Angleterre. Enfin la rade intérieure étale ses vastes proportions aux regards avidement concentrés sur un seul point... Est-ce une illusion? Les couleurs américaines semblent flotter sur la ville. En approchant, on distingue les batteries des forts, mais aucun canon ne sort des embrasures; partout à terre règne un calme étrange, extraordinaire. Il fallait se rendre à la triste évidence, nous n’avions fait de nouveau cette longue et pénible traversée que pour arriver devant une place abandonnée par l’ennemi.

Les Russes, cette fois encore, nous avaient gagnés de vitesse. L’hiver avait d’abord été activement employé par eux à perfectionner et à accroître les moyens de défense de Petropavlosk, dans l’hypothèse naturelle d’une seconde attaque au printemps. Cependant, à Saint-Pétersbourg, l’on n’avait pas tardé à se convaincre que cette fois l’issue ne pourrait être douteuse ; les navires acculés dans le port eussent infailliblement été pris ou sacrifiés, et cette considération, jointe au désir assez naturel d’en rester sur le succès ines-