Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

née il s’alita pour ne plus se relever; sa fin fut des plus simples et des plus dignes; il voulut mourir en chrétien. « J’ai pris, disait-il, la chose par le bon bout et en toute humilité. En regardant autour de moi, je vois que sur cette terre les nations les plus éclairées sont dans la foi chrétienne; je suis bien aise de me trouver en communion avec cette portion du genre humain. » Ce fut dans ces sentimens qu’il s’éteignit le 24 décembre 1850, assisté par son cousin l’abbé de Montclar. Ses funérailles furent célébrées à Saint-Louis-des-Français par les soins de l’ambassade et avec un grand concours de monde.

Bastiat est mort sans avoir pu assurer le triomphe d’aucune des idées dont il s’était constitué le défenseur, et aujourd’hui, après une assez longue période écoulée, les choses en sont encore à peu près au point où il les a laissées. Des deux adversaires qu’il a combattus, le socialisme et le privilège, l’un continue ses menées souterraines, l’autre marche le front plus haut que jamais, et ne met ni limites ni trêve à ses prétentions. Tous deux ont été et demeurent funestes à la liberté : le premier en la poussant vers les excès, le second en l’enrayant dans son mouvement le plus inoffensif et le plus naturel. Cependant, en dépit de tout, la raison publique n’en a pas moins marché, et il règne, on peut le dire, un sentiment chaque jour plus juste au sujet des problèmes que l’économie politique soulève et qu’elle a pour mission de résoudre. On commence à comprendre que c’est une science vraiment sérieuse que celle dont les lois ne reçoivent point de démenti des faits, et dont les principes se vérifient tous au creuset de l’expérience. Plus nous irons, plus cette conviction passera dans les esprits, et l’économie politique sera alors ce qu’elle doit être, la règle équitable et désormais reconnue des intérêts. Ce n’est pas le seul service qu’on doive attendre d’elle; il en est d’autres, et d’un ordre plus élevé, par lesquels elle se recommande déjà. Elle moralise autant qu’elle instruit, elle pacifie autant qu’elle éclaire, et parmi les conclusions qu’on peut tirer des écrits comme de la vie même de Bastiat, c’est celle-là surtout que j’aime à signaler en terminant. Vis-à-vis des appétits désordonnés qui convoitent la société comme une proie, l’économie politique est le frein le plus puissant et la diversion la plus sûre. En augmentant par l’échange la somme des besoins qui unissent et associent les peuples, elle contient ou tempère les écarts de l’esprit de nationalité, rend les ruptures d’autant plus difficiles qu’elles sont plus préjudiciables, et devient ainsi l’une des meilleures et des plus solides garanties du repos du monde.


LOUIS REYBAUD, de l’Institut.