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où l’économie politique lui conseillait de marcher. On la dépeignait comme une science sans entrailles, inclinant à justifier le mal plutôt qu’à le guérir, n’y opposant dans tous les cas que l’indifférence, voyant la fin sans tenir compte des moyens, plus occupée d’elle-même que d’autrui et plus féconde en préceptes qu’en soulagemens, ce qui faisait dire à Dupont (de Nemours) dans sa rude franchise, et lorsque de son exil il écrivait à J.-B. Say : « Vous avez trop rétréci la carrière de l’économie politique en ne la traitant que comme la science des richesses ; elle est la science du droit naturel, appliqué, comme il doit l’être, aux sociétés civilisées….. » Et dans un autre passage : « Sortez du comptoir, promenez-vous dans les campagnes... Votre génie est vaste, ne l’emprisonnez pas dans les idées et la langue des Anglais.»

Bastiat pesait ces objections et ne restait pas insensible à ces reproches; il voyait bien qu’il n’y avait là-dessous qu’un malentendu, et que l’économie politique pas plus que la médecine n’est responsable de nos erreurs de conduite et de nos infirmités. Elle a des principes qui sont indépendans des faits, des principes qu’on peut contester dans leur essence, et qui à ce titre sauront se défendre, mais qu’on ne peut accuser sans injustice de ce qui s’est fait et se fait encore sous l’empire d’autres erremens. Singulière objection que d’imputer à une science les torts des régimes qu’elle désapprouve et qu’elle combat! Bastiat comprenait la force de cette position dans laquelle s’étaient retranchés des hommes d’une autorité reconnue, Bossi entre autres. Cependant il voulait aller plus loin, prendre à partie ces préventions et n’en rien laisser debout, dégager surtout sa doctrine de ce cachet d’égoïsme qu’on avait cherché à lui imprimer. Pour cela, il se proposa d’établir que l’économie politique n’a pas seulement pour base l’utilité, mais la justice, et qu’elle est la gardienne du droit autant que l’interprète du fait; que, loin de briser avec la morale, elle en est la sœur jumelle, s’occupe de l’homme à un degré égal, et en veillant sur ses intérêts s’inquiète aussi de sa dignité, élève sa condition en affranchissant le travail de ses dernières servitudes, aboutit à la plus avouable des égalités, celle qui résulte du libre exercice des facultés et des forces de l’individu sans privilège pour personne et avec les moindres charges pour tous. Certes ce n’était là ni de la dureté ni de l’indifférence : d’autres pouvaient faire de plus belles promesses pour ne pas les tenir, exciter des désirs qu’il leur était interdit de satisfaire, flatter les passions et s’en servir comme d’un instrument, montrer en perspective un bien-être chimérique pour pousser vers l’abîme des populations égarées et abusées. L’économie politique se respectait trop elle-même et respectait trop la raison et la conscience publi-