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sans désordre, sans violence, aux positions à acquérir, comment à l’exercice plus étendu de la liberté s’attachaient une notion plus vraie et une application plus réfléchie de la responsabilité, comment, à mesure que ses entraves tombent, l’homme s’élève et puise dans son indépendance les élémens d’une activité mieux entendue et d’une plus grande dignité. Il prouvait que c’est ainsi, et ainsi seulement, que le niveau s’établit parmi les classes dans la mesure où il peut régner, que la richesse se répand avec plus de justice, que les travaux utiles se multiplient, que les fonctions parasites s’éteignent, qu’enfin la misère s’amoindrit, faute de prétexte et d’aliment. Pour cela que fallait-il? Précisément l’opposé de ce que poursuivaient toutes ces sectes. Au lieu de renchérir sur l’artificiel, il fallait élaguer de nos sociétés ce qui garde encore ce caractère et les rendre à leurs élémens naturels, leur donner plus de liberté de mouvement et forcer le privilège dans les institutions où il se retranche.

Tel est l’esprit de ces opuscules et l’unité qui y prévaut au milieu de leur diversité. Chacun d’eux répond à l’un des vertiges dont l’air était plein et à l’un des noms en qui ce vertige se personnifiait. Propriété et Loi est la réfutation des doctrines de M. Louis Blanc et la censure des ateliers nationaux. Capital et Rente a en vue une de ces absurdités que les révolutions seules peuvent faire prendre au sérieux, et dont M. Proudhon s’était constitué le défenseur, la gratuité du crédit, c’est-à-dire la suppression de l’intérêt dans les prêts d’argent. Bastiat n’eut pas de peine à prouver que l’argent dispose de lui-même, et que de toutes les formes de la propriété il n’en est point qui se dérobe plus facilement à la violence et à l’exaction. L’Etat touche à une thèse plus délicate, et où les socialistes ne sont pas seuls impliqués. C’est un préjugé commun que l’on doit tout attendre et tout exiger de l’état, et que ses engagemens sont toujours en raison directe de ses attributions. Bastiat s’efforçait d’établir qu’un gouvernement ne doit à ses administrés que la sécurité, et qu’il n’est ni dans son rôle ni dans son pouvoir de leur procurer la richesse, que sa fonction consiste à tenir la balance égale entre les intérêts et non à la faire pencher dans un sens ou dans l’autre, ni à ménager à ceux-ci des moyens commodes de réussir tout en imposant des entraves à ceux-là. Il soutint que l’intervention du gouvernement, quand elle n’est pas contenue dans de justes limites, tend à énerver l’activité du pays, et qu’en s’habituant à compter sur lui, les individus perdent l’habitude de compter sur eux-mêmes. Paix et Liberté est une étude financière où, sous des couleurs très vives, l’auteur met à nu la plaie de ces armemens exagérés que les nations maintiennent en défiance les unes