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tion du jury, alors que les droits individuels étaient depuis longtemps entourés de tant de garanties, le défenseur ne pouvait même pas parler en faveur de l’accusé, et quelque incapable que fût ce dernier de se défendre lui-même, toute l’assistance à laquelle il pouvait prétendre se bornait à des conseils. La détention était un affreux supplice, non-seulement pour les condamnés, mais encore pour les prévenus. Elle entassait sur une paille infecte hommes, femmes, enfans, dans une promiscuité révoltante; elle ajoutait la plus hideuse débauche à toutes les souffrances du corps et de l’âme; une foule de malheureux n’y échappaient que par la mort.

Malgré la terreur dont une pareille répression aurait dû frapper les malfaiteurs, leur nombre se multipliait tellement que, si le but du châtiment eût été de faire le moins de bien et le plus de mal possible à la population criminelle et à la société, on n’aurait rien pu imaginer de plus sûr pour satisfaire à cette double intention. Vainement Olivier Goldsmith en Angleterre, comme Montesquieu en France et Beccaria en Italie, élevaient la voix contre de si affreux abus, et recommandaient un juste tempérament des peines; partout des âmes effarouchées, suivant une expression empruntée à l’Esprit des Lois, et rendues plus atroces, continuèrent à être soumises à une atrocité plus grande. Aujourd’hui, par suite d’une de ces réactions dont les exemples ne manquent pas dans l’histoire des institutions humaines, l’Angleterre est le pays du monde qui traite les criminels avec le moins de rigueur, et le régime des prisons y est tel qu’importé en France, il y serait considéré comme un scandaleux encouragement au crime.

Que s’est-il passé dans cette transition d’un extrême à l’autre, et quels en ont été jusqu’ici les résultats? Nous répondrons à cette question par quelques documens que le lecteur ne trouvera peut-être pas sans intérêt.

Un philanthrope anglais du siècle dernier, Howard, avait dévoué sa vie à la réforme du régime pénal. Il connaissait sans doute la dissertation du père Mabillon sur le régime d’emprisonnement cellulaire imaginé par saint Jean Climaque pour les couvens, et l’application de ce système faite à Rome en 1703 par le pape Clément XI à la maison de correction de Saint-Michel. Pour donner à sa parole toute l’autorité de l’expérience, il visita toutes les prisons de l’Europe. Ses observations le convainquirent que, pour réprimer et prévenir le crime, la terreur était impuissante, que le seul moyen d’y parvenir était la réformation des criminels, et enfin que cette réformation n’était possible que par l’isolement individuel. Ces idées, qu’il développa dans un ouvrage publié en 1775, peu de temps avant de succomber à une maladie dont il avait pris le germe dans les pri-