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ESSAIS ET NOTICES

LE DERNIER DES PHILIDOR.


Dans l’économie de l’ancienne société, il n’était pas rare de rencontrer des familles nombreuses qui, de génération en génération, étaient restées fidèles à la profession qui avait fait la fortune ou la célébrité du premier fondateur. Dans les arts manuels surtout, dans le petit négoce, et même dans le commerce plus étendu, ce phénomène se reproduisait très fréquemment, car il était une conséquence et comme un prolongement des corporations et des jurandes qui formaient la base de l’organisation du travail. N’y avait-il pas des familles illustres vouées pour ainsi dire à la magistrature, à l’église, à l’armée, et dont le nom se confondait presque avec la fonction publique dans laquelle il s’était perpétué? Cette transmission de la profession paternelle devient plus difficile à mesure qu’on s’élève au-dessus du métier proprement dit : elle exige alors, pour se réaliser, un plus grand effort d’intelligence. Il y a eu cependant des familles de savans, telles que les Estienne, les Bernouilli, les Alde, et beaucoup d’autres qu’il serait trop long de citer. Dans les arts qui ont pour objet la manifestation du beau et l’expression de la vie morale, il semble moins aisé encore de léguer à son fils et de transmettre à sa postérité cette faculté plus ou moins grande de création qui constitue le véritable artiste. On peut citer toutefois des familles de peintres et de graveurs, les Carrache en Italie, les Vernet en France, et quelques pâles successeurs des maîtres vénitiens. La musique aussi a été cultivée par des générations d’artistes portant le même nom, et dont la plus considérable de toutes est celle des Bach, en Allemagne, qui remonte au XVIe siècle, et qui subsiste encore de nos jours. Dans ce clan de musiciens, de mérites si différens, s’élève, comme un chêne vigoureux dans un taillis, la figure imposante du grand Sébastien. Les Philidor forment en France une de ces dynasties d’artistes musiciens qui prend son origine au XVIIe siècle. J’en ai connu le dernier rejeton, et je voudrais esquisser la triste destinée de ce petit-neveu du célèbre joueur d’échecs du café de la Régence, qui a été, avec Duni, Monsigny et Grétry, l’un des créateurs de l’opéra-comique.

Le seul roi de France qui ait aimé et cultivé la musique fut le triste fils de Henri IV, qui a eu l’insigne bonheur d’être le père de Louis XIV. S’il fallait s’en rapporter aux historiens, et principalement au savant jésuite Kircher, non-seulement Louis XIII aurait fait des romances plus ou moins authentiques, mais il aurait composé une chanson à quatre voix : Tu crois, ô beau soleil, que Kircher a insérée dans sa vaste encyclopédie : Musurgia universalis. Quoi qu’il en soit du talent de compositeur de Louis XIII, chose toujours difficile à vérifier chez un roi qui a des maîtres de chapelle à son service, il est certain qu’il aimait la musique, et que sa cour était remplie