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plus sincère et plus fécond que celui qu’affichent les pitoyables anglophobes dont la nuée s’est tout à coup réveillée dans ces derniers temps. Nous respectons dans les masses le souvenir passionné des anciennes luttes où s’entretient le feu de la fierté nationale ; nous pouvons gémir quelquefois des erreurs de ce sentiment populaire : elles naissent de l’ignorance, elles accusent la lenteur des progrès de l’éducation politique parmi nous ; cependant, nous le répétons, derrière ces erreurs, il y a des instincts généreux et le noble mobile de l’amour du pays. Mais nous ne nous sentons point assez de mépris pour les pamphlétaires qui spéculent sur les vieux préjugés, et qui choisissent le moment même où les deux gouvernemens protestent si solennellement en faveur de l’alliance, pour tromper l’opinion des deux pays l’un sur l’autre, pour entretenir les défiances réciproques, pour inspirer des doutes sur la sincérité des grands actes dont nous venons d’être témoins. Le procédé des auteurs des brochures auxquelles nous faisons allusion est aussi révoltant que leurs calculs sont odieux. Ils érigent ces compilations formées avec les prétendus entretiens de Sainte-Hélène en une sorte d’alcoran politique ; ils profanent la mémoire de leur prophète en lui attribuant toute sorte de divagations absurdes et apocryphes sur la foi des domestiques qui se sont donnés au monde pour ses secrétaires posthumes; ils cherchent à hébéter la France dans une absurde glorification d’elle-même qui nous conduirait, si nous nous laissions faire, à l’imbécillité du bonhomme Démos dans la comédie d’Aristophane, ou à l’infatuation grâce à laquelle les Turcs et les Chinois sont parvenus à se persuader qu’ils sont les premiers peuples de la terre. A la faveur des gasconnades du chauvinisme, ils prêchent à la France une sorte d’islamisme contre l’Angleterre. Le gouvernement a là de singuliers et compromettans amis. Faute d’une liberté suffisante de la presse, les hommes d’affaires, si prompts à l’alarme, les étrangers, qui ignorent l’origine de ces inspirations belliqueuses, les commères de la diplomatie, pour qui tout est événement, prennent au sérieux ces honteuses brochures. Elles ne sortiraient pas de l’obscurité, et ne donneraient pas même au gouvernement la peine d’un désaveu, si les courans de l’opinion sérieuse se livraient avec une libre confiance à leurs mouvemens naturels.

Après Cherbourg et le voyage de l’empereur dans l’ouest, il n’y a plus aucun incident politique à noter dans la situation intérieure. Faut-il élever aux proportions des faits politiques le grand concours et la distribution des prix dans les collèges de Paris? Nous n’avons pas ce courage. Ce n’est pas cependant que la politique ne se glisse toujours, à notre grand étonnement, dans les harangues adressées aux écoliers par les grands personnages qui président à ces innocentes cérémonies. Nous avons été toujours choqués, pour notre part, des pompeuses allocutions qu’inspirent chaque année les solennités de l’enseignement secondaire. Les orateurs ont par trop l’air d’oublier qu’ils parlent à des enfans. C’est une lacune du système d’éducation de notre pays qui nous vaut cette éloquence à contre-temps. Si nous avions un enseignement supérieur fortement organisé, si nous possédions ces nobles universités dont jouissent l’Angleterre et l’Allemagne, il ne serait peut-être point déplacé d’entretenir des affaires publiques des étudians qui seraient déjà des hommes; mais conseiller à des élèves de sixième ou même de rhétorique