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moins amers et moins inquiets que ceux qui se manifestaient depuis quelque temps dans la presse anglaise. Le témoignage public de quelques-uns d’entre eux confirme cette appréciation. Déjà en effet deux des passagers du Pera, M. Roebuck et M. Lindsay, viennent de raconter leurs impressions à Tynemouth, un port du nord de l’Angleterre, dans une réunion publique convoquée pour l’inauguration d’un de ces athénées d’ouvriers, de ces mechanics’ institutes, belles institutions populaires dont la diffusion a tant contribué depuis peu d’années à répandre une instruction virile parmi les artisans de l’Angleterre. Nous ne répéterons pas les jugemens portés par ces deux membres de la chambre des communes sur les divers incidens des fêtes de Cherbourg. M. Roebuck par exemple n’a pas trouvé à son goût les femmes de la côte de Cherbourg, et il n’a peut-être pas tort, car il est difficile de voir une population moins pittoresque et d’une physionomie moins avenante que celle du Cotentin. Avec ses habitudes anglaises d’expansion bruyante, il trouve que nous manquons d’enthousiasme dans nos fêtes publiques; c’est là une affaire de goût et de tempérament national sur laquelle nous n’avons point à nous prononcer. Sur la question sérieuse, celle de la valeur offensive de Cherbourg, M. Roebuck et M. Lindsay sont d’accord : ils déclarent que l’Angleterre aurait tort de s’abandonner à une ridicule épouvante. M. Lindsay n’est point un orateur des multitudes comme son collègue, et il a sur lui l’avantage d’être un juge expert en matière de marine, deux raisons qui donnent plus de valeur à ses informations et plus de poids à ses paroles. M. Lindsay rend un sérieux hommage aux qualités de nos vaisseaux, à l’admirable Bretagne surtout, qu’il a visitée avec sir Charles Napier. Il nous apprend que le port militaire de Cherbourg a trois fois plus d’étendue que le plus considérable de l’Angleterre, celui de Keyham, près de Devonport. Il ne dissimule rien de la puissance maritime que la France a été en mesure de déployer à Cherbourg, et cependant il se rassure sur les dangers que cette place pourrait faire courir à l’Angleterre, par des considérations analogues à celles que nous présentions tout à l’heure. Des forts et des vaisseaux ne sont point toute une marine. Quelle que soit la capacité et la valeur de nos braves marins, pour arriver à posséder la suprématie maritime qui seule pourrait inquiéter l’Angleterre, il nous faudrait avoir formé une population maritime plus considérable que celle dans laquelle nous recrutons nos matelots. C’est la marine marchande, celle que développe le commerce, par conséquent la paix, qui seule peut alimenter une puissante marine militaire. Si nous voulons égaler l’Angleterre sur les mers, la meilleure route à prendre, c’est de chercher à l’égaler par le commerce maritime. Si nous voulons grandir dans une rivalité honorable et avouable avec nos voisins, nous nous élèverons donc plus sûrement par la paix que par la guerre. À ce point de vue, l’alliance entre les deux peuples n’est pas seulement une satisfaction pour les intérêts industriels et commerciaux, qui la réclament en France avec une autorité impérieuse; elle est la garantie de l’égalité des deux nations dans la voie de grandeur progressive où elles sont destinées à marcher parallèlement.

Nous avons toujours considéré, nous considérons encore cette façon d’entendre l’alliance anglaise comme émanant d’un patriotisme plus clairvoyant,