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les colons algériens ont emprunté à certaines contrées méridionales des pratiques depuis longtemps condamnées par l’expérience. On voit en Algérie des vignobles composés de cépages divers et assemblés sans choix, partiellement ombragés par des arbres. On se souvient alors des cépages de la Toscane, cultivés en hutins, treilles et vignes basses, et donnant à la fois des raisins d’une maturité inégale. Le touriste peut admirer cette végétation luxuriante entremêlée de plantes herbacées et de plantes ligneuses, d’arbres et d’arbustes chargés de fleurs et de fruits, qui a fait surnommer la Toscane le jardin de l’Italie. En somme, on n’obtient ainsi sur beaucoup de points que des vins faibles, acides, dépourvus de bouquet ou d’arome, comparables tout au plus à nos vins des environs de Paris, de Suresnes, d’Issy ou d’Argenteuil, et se conservant moins longtemps que ceux-ci. En vue sans doute de compenser le bouquet dont les produits de leurs cultures irrégulières ne réunissent pas les élémens, les vignerons toscans composent une sorte de bouquet artificiel en faisant infuser dans leurs vins en fermentation des plantes aromatiques à odeur forte. Ils recueillent par ce moyen des liquides alcooliques variables, offrant plus d’analogie avec des tisanes odorantes vineuses qu’avec de véritables vins. Cette addition d’aromates a pour but sans doute de ralentir les altérations spontanées auxquelles sont assujettis les vins faibles, et cependant, malgré cette précaution, la conservation s’étend à peine au-delà d’une année, c’est-à-dire qu’elle ne peut atteindre l’époque où l’arôme naturel des bons crus, bien apprécié dans le monde entier, commence seulement à se développer[1]. Il est temps que les vignerons algériens s’arrêtent dans la voie où ils se sont engagés. Qu’ils soient bien avertis qu’en ajoutant à leurs vins de la fleur de sureau, de la coriandre, de la racine d’iris, ils en font des boissons étranges, détestables. Et l’on ne saurait dire que les bons vins naturels ne trouveraient aucune faveur au sein de notre colonie en présence des importations des vins de France, qui, développées graduellement depuis quelques années, se sont élevées en 1856 à 172,190 hectolitres, représentant une valeur de 1,721,900 francs.

Ce ne sont pas seulement le défaut de soins dans la fabrication et l’addition des aromates qui donnent au plus grand nombre des vins de l’Algérie les qualités mauvaises ou médiocres qu’on peut leur reprocher, c’est encore un défectueux assortiment des cépages.

  1. La déplorable manie d’aromatiser les vins en les dénaturant s’est propagée déjà dans quelques crus renommés de la France et de l’Allemagne, où l’on a pensé peut-être mieux assurer leur conservation au détriment des qualités primitives sur lesquelles leur ancienne réputation se fonde : c’est ainsi que l’on rencontre des vins du Rhin contenant une infusion de sauge clarée.