Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les blés de l’Algérie, très différens des blés tirés actuellement de l’Égypte[1], sont entièrement assimilables aux meilleurs produits de nos départemens d’Europe. Les blés tendres, comparables aux magnifiques richelles de Naples, et les variétés plus rustiques des blés de Mahon barbus et de Roussillon, livrés soit à la mouture ordinaire, soit à la mouture à gruaux blancs, donneront les plus belles farines commerciales, et trouveront pour ces applications de faciles débouchés en France comme sur tous les marchés de l’Europe. Les blés durs, mieux appropriés encore au climat et au sol de l’Algérie, d’une conservation plus facile dans les silos arabes, sont d’ailleurs généralement plus productifs; ils conviennent parfaitement à la fabrication du couscoussou, base de l’alimentation dans le pays, à la préparation des semoules comme à la confection des pâtes dites d’Italie. S’ils exigent à la mouture des soins particuliers et une puissance mécanique plus grande, leur rendement en farine, comme le produit de la panification de celle-ci, est plus considé-

  1. Plusieurs faits remarquables, inattendus, ont été récemment constatés à la suite de l’examen approfondi des blés d’Égypte par une commission spéciale. En 1855, cette commission avait observé dans les fromens importés de l’Égypte une odeur à la fois aromatique et sensiblement putride dont on ne parvenait qu’incomplètement à les débarrasser par des nettoyages énergiques, même à l’aide d’un lavage mécanique et d’une rapide dessiccation à l’étuve. L’odeur se retrouva dans les produits de la mouture et de la panification; la farine présentait en outre un caractère tout particulier : le gluten, qu’on n’en pouvait que difficilement extraire, était dépourvu de souplesse, de ductilité et d’élasticité. Attribuant tout d’abord ces défauts au peu de soins dans la récolte, au contact de matières organiques putrescibles durant l’emmagasinage et la conservation, on voulut s’assurer si de pareilles négligences, habituelles dans ces contrées, étaient les causes des phénomènes en question. Grâce au concours empressé de notre administration pour résoudre cet important problème, des blés de diverses localités égyptiennes furent expédiés en gerbes dans des caisses bien closes, exempts de toute substance étrangère qu’auraient pu y introduire le dépiquage sous les pieds des animaux, le séjour sur les bords du Nil ou les emmagasinages prolongés. A leur arrivée en France, ces blés, extraits soigneusement de leurs épis, soumis à des essais de mouture, d’analyse de panification, offrirent encore à peu près au même degré les caractères défavorables qui s’opposent à l’emploi de plus de 5 à 10 pour 100 de leur farine dans les mélanges à pain blanc. Quelle peut être la cause véritable de ces détériorations qui déprécient actuellement les blés d’Égypte? Faut-il les attribuer à une sorte de dégénérescence de la semence antique? dépendraient-ils d’émanations particulières du Nil ou de son limon fécondant? En tout cas, deux expériences proposées par les membres de la commission et maintenant en cours d’exécution semblent devoir jeter de vives lumières sur ce singulier problème : d’un côté, on expérimente en Égypte la culture de plusieurs de nos meilleures variétés de froment; d’un autre côté, on a essayé en France, dans nos bonnes terres, la semence venue d’Égypte avec les caractères précités. Suivant les résultats de cette double expérimentation, on pourra reconnaître s’il serait utile soit de perfectionner les procédés de la culture, soit de changer la semence dans cette contrée.