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d’inertie, se rit de toutes les espérances, des vœux réunis de la nation et du roi, et bien plus retient même enchaîné l’esprit public? De même que la puissante analyse de la parole suscite et développe la pensée, et que le muet de naissance manque d’un énergique moyen d’exercer et de fortifier son esprit, de même l’esprit public en Suède, n’ayant d’autre expression légale que cette représentation imparfaite, reste enveloppé, il faut bien le dire, et n’acquiert pas la force que lui procurerait assurément une liberté intelligente et disciplinée. On en a vu un exemple dans la condamnation récente des catholiques. Une partie, une bonne partie de la nation a détesté cette honteuse sentence, cela est vrai; le journal libéral l’Aftonblad a ouvert une souscription au profit des persécutées, nous le savons. Il n’en est pas moins certain qu’une moitié de la représentation d’une part et l’une des grandes cours de justice de l’autre se sont crues assez autorisées et soutenues par l’esprit public pour rendre, chacune de son côté, une sentence qui est une tache pour leur pays, et que sauront exploiter en Danemark et en Norvège les ennemis de l’union scandinave.

Une seule pensée nous rassure : ou le roi Oscar, rendu à la santé, fera de nouveau entendre sa voix respectée, à laquelle cette dernière et triste expérience prêtera une autorité nouvelle et décisive, ou le régent, qu’anime une ambition généreuse, aura à cœur de reconquérir promptement pour la Suède, dans la carrière nouvelle où l’attendent sans doute de glorieuses destinées, le terrain qu’elle a perdu. Dans l’un ou l’autre cas, la réforme si souvent invoquée par la partie éclairée de la nation, et proposée plusieurs ibis par le gouvernement lui-même, ne saurait manquer de s’accomplir, maintenant qu’on a éprouvé jusqu’à quelle extrémité absurde et inique cette représentation pouvait conduire le pays. La prochaine diète aura pour tâche, nous l’espérons, de réconcilier la Suède avec l’Europe, avec les peuples du Nord, ses frères, à qui il importe qu’elle soit forte et respectée, — enfin, pourquoi hésiter à le dire? — avec elle-même.


A. GEFFROY.