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une grande partie du moyen âge, par de funestes complications de droits d’héritage et de liens de familles, enfin par les divisions intérieures, issues chez les peuples du Nord de l’incertitude où l’oppression de l’Allemagne retenait leur sentiment de nationalité. En L’absence d’un droit réel de l’Allemagne à intervenir dans les affaires du Nord, réclamera-t-on une libre expansion de la nationalité allemande par cette seule raison qu’elle est la plus forte? Ce serait se faire l’avocat d’un cosmopolitisme tyrannique et funeste, qui, au nom d’un progrès impatient de toute barrière, enfanterait la servitude et la décadence. Il ne faut pas se représenter la société européenne et chrétienne comme une simple agrégation de peuples dont les moins puissans par le nombre, par la richesse, ou même par le génie, seraient destinés à accepter la domination des deux ou trois plus forts, sauf pour ceux-ci à lutter ensuite jusqu’à ce qu’un seul se trouvât définitivement vainqueur. Il ne faut pas croire qu’une telle issue tournerait au grand profit de tous. Non, la société européenne vraiment digne de ce nom est une réunion fraternelle qui subsiste par le respect des droits de chacun et par la protection que le plus fort s’empresse au contraire d’accorder au plus faible. De cet équilibre volontaire naît l’intelligente harmonie qui préside au concert de la civilisation occidentale, et qui, inventée pour la première fois par le génie européen et moderne, n’a rien de commun avec le silence de mort dans lequel s’agite convulsivement la despotique Asie. Chacune de ces nations qui composent le continent européen a sa physionomie particulière, et chacune aussi offre quelque trait commun qui se retrouve dans la physionomie de ses sœurs :

Faciès non omnibus una,
Nec diversa taraen, qualem decet esse sororum.


Et chacune assurément a son rôle tracé qu’une autre ne remplirait pas avec un égal bonheur. Ne souhaitons pas que certaines velléités ambitieuses puissent aujourd’hui se substituer à la double action, providentielle et sage, du génie de notre race et du temps. S’il est vrai, comme nous le croyons, qu’il faille compter l’âge des peuples en raison de la carrière qu’il leur reste à parcourir, les peuples scandinaves sont jeunes; le sentiment des nationalités, qui ne s’est vraiment éveillé en Europe qu’au commencement de ce siècle-ci, leur a révélé leur dignité, et ils se lèvent à son appel. Ils savent désormais de science certaine, si on ne le sait pas bien autour d’eux, qu’ils sont destinés à un rôle utile et brillant peut-être en Europe, et ce n’est pas aux puissances occidentales que l’idée viendra de ne pas les en croire ou de les en vouloir désabuser.