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toutes ces parties de la monarchie sous une même constitution et une même représentation, va donc directement contre la justice et l’histoire. C’est une erreur trop fréquente, et qui marque trop peu d’instruction, de prendre le Danemark et les trois états scandinaves en général comme de simples annexes du monde germanique, auquel ils seraient redevables de toute leur civilisation. Les Scandinaves forment une famille bien distincte dans la race germanique. S’il est vrai qu’ils avaient à l’origine une langue et une mythologie analogues à celles des Allemands, il ne faut pas oublier que ces derniers ont livré de bonne heure leur idiome et toutes leurs croyances à la double influence de l’ancienne civilisation classique et du christianisme, tandis que les Scandinaves sont restés bien plus longtemps et plus profondément pénétrés de l’énergie de ce génie primitif. C’est là une importante différence qui se montre dès les premiers temps de leur histoire. D’ailleurs l’Allemagne n’a pas été leur seule ni même leur principale éducatrice dans la voie de la civilisation moderne. La conversion du Nord au christianisme n’est pas une œuvre allemande, mais bien plutôt une œuvre de la France carlovingienne et de l’église anglo-saxonne. Saint Anschaire, l’apôtre du Danemark, était d’origine picarde, et avait été élevé chez les bénédictins de Corbie. C’est lui aussi qui porta en Suède les premières semences de la foi nouvelle. Quant à la Norvège, elle reçut principalement les missionnaires anglo-saxons, et l’Islande les missionnaires irlandais. Bien plus, les querelles avec l’Allemagne, qui datent des premiers siècles du moyen âge, ont pendant très longtemps empêché l’établissement définitif du christianisme dans la Scandinavie méridionale, et l’union dynastique du Danemark avec l’Angleterre, sous les Canut, a seule pu triompher d’un si puissant obstacle. Ce que le Nord doit à l’Allemagne, c’est la réforme protestante, et encore les protestans de la Suède et du Danemark se demandent-ils si le libre et sincère développement des idées et des sentimens populaires suivant les inspirations du génie national n’eût pas été préférable à l’importation d’un établissement officiel comme celui de l’église luthérienne allemande. L’Allemagne a d’ailleurs transmis au Nord Scandinave le droit féodal avec le servage, ainsi que l’esprit administratif, l’esprit de bureaucratie, de procédure, et les publicistes scandinaves ont pu se demander à leur tour s’il n’eût pas été souhaitable que l’Allemagne gardât pour elle ses institutions politiques ou sociales, sans les imposer à des peuples dont l’énergie se fût fortifiée sans doute à se produire selon ses voies particulières. On ne doit pas faire de l’oppression subie un argument contre cette énergie même, car la défaite ne s’explique que trop facilement par la présence de cours étrangères dans les royaumes scandinaves pendant