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« Honte à la persécution romaine, mais triple honte à la persécution protestante! »

Au mois de janvier 1857, à l’occasion de la proposition d’un député, M. Tham, pour conférer au clergé suédois un droit de censure préventive sur les livres religieux circulant par le colportage, adresse des protestans de Hollande, déclarant que déjà plusieurs fois, à leur grande douleur, des témoignages leur sont parvenus de la contrainte exercée par l’église suédoise ou en son nom en matière religieuse; qu’une telle intolérance est à leur avis coupable et funeste; que la proposition de M. Tham en particulier leur paraît une insulte à la dignité humaine et chrétienne, à l’intelligence et à la conscience, une action comparable à celle de l’homme qui achète et exploite un homme qu’il appelle son esclave.

Ajoutez à cette série, que nous aurions pu faire plus longue, tous les avertissemens de la presse française, et les protestations qu’a déjà suscitées, celles que suscitera encore l’acte récent d’intolérance par lequel l’église suédoise a couronné son œuvre. Tous ces avis cependant, l’église suédoise ne s’est pas contentée de les dédaigner; elle a méprisé ses propres dangers et ceux qu’elle fait encourir à la dignité du pays, à sa prospérité, à la sûreté même de la paix publique. Les habitans de Stockholm ont encore dans la mémoire les scènes de violence et de scandale excitées naguère contre M. Scott, l’agent du méthodisme américain, qu’on traîna dans un théâtre pour le forcer à être spectateur d’une parade bouffonne dans laquelle son masque paraissait, et qu’une émeute chassa un jour de sa chaire. Ici même on a raconté avec intérêt les aberrations auxquelles les persécutions ont entraîné les baptistes[1]; chaque jour se multiplient chez eux les visions célestes ou infernales, les possessions, les convulsions, les exorcismes. C’est un martyrologe enfin que l’histoire de ces lecteurs qui remplissent maintenant les provinces suédoises, depuis Éric Jansson, le prétendu prophète de 1844, jusqu’à M. Oscar Ahnfelt, le troubadour évangélique, qui allait ces dernières années prêchant et chantant les psaumes dans les campagnes avec accompagnement de guitare. Loin de se calmer aujourd’hui, le mouvement séparatiste, devenu contagieux, s’étend en raison de la compression qu’on lui impose. Aux emprisonnemens et aux amendes répondent la révolte et l’émigration. La Suède est-elle si peuplée et si riche qu’elle puisse voir indifféremment ses enfans s’éloigner d’elle, et n’a-t-elle aucune mémoire soit de l’Espagne, rendue à peu près stérile par l’expulsion des Morisques, soit de la malheureuse Irlande, réduite de neuf millions à six millions d’habitans

  1. Voyez l’étude de M. Trottet sur l’Église suédoise, dans la Revue du 1er avril 1837.