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glise norvégienne, bien qu’elle fût encore église d’état, obéissait du moins au principe protestant de libre discussion en leur reconnaissant le droit d’exister. C’est grâce à la loi des dissidens que le catholicisme a pu s’établir paisiblement à Christiania[1]. En résumé, l’église de Norvège ne doit pas se repentir de s’être relâchée un peu de son ancienne tyrannie : elle a donné un bon exemple; en substituant au désordre qui l’envahissait quelque liberté, elle a beaucoup plus profité que perdu.

L’église officielle de Danemark ne se maintenait pas non plus sans aucune inquiétude et sans aucun trouble, témoin les attaques d’un enthousiaste et hardi penseur, Kierkegaard. Déjà depuis quelques années Kierkegaard avait agité les esprits par de vives et ardentes brochures, dans lesquelles, sous différens pseudonymes, il avait prétendu secouer l’engourdissement de la croyance officielle et réveiller en chacun de ses lecteurs l’indépendance du sentiment religieux. L’évêque de Copenhague, le vénérable Mynster, étant venu à mourir, son successeur, M. Martensen, en prononçant son oraison funèbre, le loua d’avoir été « un des témoins de la vérité apostolique » et de s’être ainsi marqué sa place dans la glorieuse chaîne dont les premiers anneaux remontent aux premiers disciples de Jésus-Christ. Cette louange parut à Kierkegaard un mensonge, et il saisit l’occasion d’attaquer dans le chef de l’église établie cette église elle-même; il le fit avec une âpreté et une violence, avec une verve, un emportement et une chaleur de style qui ne laissaient pas de rendre ses écrits facilement populaires. Ses imprécations rencontrèrent de redoutables échos dans les consciences qu’avait irritées la domination de l’église officielle.


« J’ai ouvert et soutenu le feu, comme on dit, contre le christianisme officiel de ce pays. Comment le clergé m’a-t-il répondu? Par un silence significatif.

« Chose curieuse : si l’on avait répondu, que de riens eût offerts la réponse ! On n’a rien dit : que de choses dans ce profond silence ! — Il signifie, ce silence, que ce qui préoccupe notre clergé, c’est le morceau de pain de chaque jour, et non pas le témoignage de la vérité : cela est évident, puisqu’il se tait en face de l’allégation suivante que j’ai publiquement formulée : « Le christianisme officiel est, au point de vue de l’intelligence, une plaisanterie et une insulte; au point de vue de la foi, un scandale. » — Étant admis que le morceau de pain est ce qui préoccupe uniquement notre clergé, alors

  1. Il est permis en effet de regarder comme exceptionnel un procès tout récent, qui contraste grossièrement, il faut le dire, avec la tolérance qu’a montrée pendant ces dernières années l’esprit public norvégien, et dont l’église de Saint-Olaf, construite par une contribution à laquelle les protestans ont pris une large part, est un honorable témoignage.