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sa solitude, cette constante pensée devenait pour lui une source d’extase. A vingt-quatre ans, il crut avoir obtenu enfin ce qu’il avait longtemps désiré. Un jour, pendant qu’au milieu de son travail il chantait un psaume, son esprit fut tellement ravi vers Dieu, qu’il perdit un moment toute conscience de lui-même. A partir de ce jour, il se sentit transformé, doué d’une intelligence nouvelle pour comprendre la parole divine, et assuré de sa vocation spéciale. L’état surnaturel dans lequel ce ravissement l’avait plongé dura trois semaines sans aucune interruption, et pendant tout ce temps-là, dormant fort peu, ne mangeant à peu près rien, il ne ressentit pourtant ni faim ni fatigue. S’il pouvait lui rester quelques doutes, ils lui furent enlevés par un entretien avec Dieu même, et dans lequel sa mission lui fut confirmée, bien qu’il manquât de quelques- uns des premiers élémens de la science humaine.

Ce fut en 1797 qu’il commença de s’adresser au peuple norvégien et de lui reprocher son indifférence, sa froideur religieuses. Il affirmait que sa parole était inspirée d’en haut, et il l’appuyait en publiant de nombreux écrits. Pendant un temps, il occupait à lui seul cinq imprimeries, publiait ses livres à cinq mille exemplaires, et dut une fois faire tirer une seconde édition d’un ouvrage sur la doctrine chrétienne le jour même où la première avait paru. La foule des campagnes surtout se précipitait vers sa parole, et pendant sept années consécutives, jusqu’en 1804, Jean Hauge fut le prédicateur des champs aussi bien que des carrefours. Il est difficile après cela de croire ce qu’affirment quelques-uns de ses biographes, que cet orateur populaire fut si faible d’esprit, qu’il ne pouvait associer logiquement un certain nombre d’idées, et que quelques-uns de ses écrits étaient véritablement dépourvus de sens. Ce n’est pas avec des non-sens qu’on entraîne après soi des milliers de cœurs devenus sympathiques et dévoués; il faut au moins une certaine puissance de l’esprit et de l’âme qui n’est point un don ordinaire, et que Jean Hauge posséda. Ce qui est bien vrai pourtant, c’est que son enthousiasme mystique devait paraître dangereux à l’église officielle, dont il tendait à dissoudre les liens, et que même toute discipline régulière était menacée par cette passion qu’il allumait au dedans des âmes. Le mysticisme peut être également la source du plus bel héroïsme et celle des aberrations les plus viles ; il ressemble à ces forts breuvages que certains vases seulement peuvent contenir, mais qui se corrompent dans les autres ; il donne des ailes de feu aux âmes d’élite, et abaisse les âmes vulgaires vers les appétits inférieurs et grossiers. Son moindre danger, quand il s’empare d’intelligences médiocres, est de les hébéter en leur enlevant toute activité propre et en les pliant à de puériles rêveries. C’est ce qui arriva surtout à