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reté du Danemark; discréditée, affaiblie par sa propre faute, elle livre sans défense et sans appui les autres peuples du Nord à tous les dangers qui les environnent.


I.

Une des trois grandes cours de justice suédoises a rendu récemment, comme on sait, un arrêt condamnant six femmes, dont cinq mères de famille, à l’exil ainsi qu’à la perte de tout héritage et de tous droits civils, pour le seul crime d’avoir abandonné l’église évangélique luthérienne. On dit pour s’excuser : « Cet arrêt termine un procès qu’on avait laissé pendant à dessein durant cinq années dans l’espoir que la diète suédoise accepterait enfin les projets de lois favorables à la tolérance que le gouvernement ne se lassait pas de lui proposer; la diète ayant maintenu l’ancienne rigueur, force était bien que la loi eût enfin son cours. Prenez-vous-en à l’esprit public, dont cette condamnation n’a fait que traduire l’expresse volonté. »

Il y a là deux conclusions ; nous croyons que l’une n’est pas nécessaire, et que l’autre n’est pas légitime. On trouve dans le code pénal des Suédois un certain nombre de dispositions barbares, héritage du moyen âge, vieilles armes qu’il est curieux peut-être pour l’archéologue de retrouver dans l’arsenal judiciaire, mais que la rouille a gâtées, et dont il est également dangereux et ridicule de prétendre se servir encore. Le code pénal suédois a conservé le werhrgeld par exemple, et vous trouverez au chapitre 34 qu’il en coûte 40 rigsdalers ou 80 francs pour couper un nez, 25 pour trancher un pouce, 12 pour un doigt, 6 pour une dent. Qui songe cependant à faire usage de cette législation gothique? — Le dirons-nous? Il nous plaisait de retrouver en Suède quelques vestiges du génie anglais. Le droit britannique, lui aussi, conserve sans les abolir une foule de lois surannées qui ne s’appliquent pas, mais que remplacent et effacent peu à peu les lois plus nouvelles; c’est l’esprit qui se montre plus fort que la lettre et le bon sens qui domine la logique. Cette libre disposition de soi-même est le signe assuré d’une force intérieure et contenue qui a beaucoup de prix. — Or les membres de la cour de justice suédoise ne pouvaient-ils appliquer à la loi barbare qui punit des actes de foi religieuse par l’exil et la confiscation le même oubli bien mérité qu’ont subi les antiques dispositions relatives au wehrgeîd[1] ? Une preuve d’ailleurs qu’on pou-

  1. N’a-t-on pas été fidèle à cette logique supérieure à l’observation servile de la lettre dans une récente occasion, à propos du ridicule procès Lindahl — Mendelsohn, qu’un homme d’esprit a voulu transformer en un romanesque épisode, mais qui restera dans le domaine de la chronique scandaleuse? M. Lindahl, ayant publié contre Mlle Mendelsohn, la jeune et belle valkirie, une accusation infamante qui, prouvée, aurait valu à l’accusée la peine capitale, a dû être condamné lui-même, selon la loi suédoise, et parce qu’il ne pouvait prouver son accusation, à la même peine que sa calomnie faisait encourir à la partie adverse; mais comme il n’y a évidemment qu’une vieille et absurde loi du moyen âge qui puisse punir de la peine de la hache le crime, quelque grave qu’il soit, de simple calomnie, chacun savait à Stockholm que la grâce royale interviendrait. M. Lindahl en effet, condamné à la décapitation, en a été quitte pour une amende de 200 francs et des excuses publiques à son innocente et peu intéressante victime. — Nous ne saurions nous plaindre assurément qu’on n’ait pas traité de même cette graveleuse comédie et une affaire de conversion religieuse; mais il faut convenir cependant que ce nouvel exemple démontre quelle digne justice on pouvait faire à l’absurdité de l’ancienne loi contre les séparatistes.