Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Les curés sont près de crever d’envie. — Chère madame, bien sûr, c’est un homme de beau langage ; — écoutez seulement comme sa langue mord bien le clergé. — Ma foi! madame, dit-il, si vous donnez de tels dîners, — vous ne manquerez jamais de curés, si longtemps que vous viviez. — Je n’ai jamais vu un curé qui n’eût un bon flair. — Mais le diable serait partout mieux venu qu’eux. — Dieu me damne! ils nous disent de nous corriger et de nous repentir; — mais morbleu! à leur figure, on voit bien qu’ils ne font pas carême. — Sire vicaire, avec vos airs graves, j’ai bien peur — que vous ne couliez un regard fripon sur la femme de chambre de madame. — Je souhaite qu’elle vous prête sa jolie main blanche — pour raccommoder votre soutane et repasser votre rabat. — Partout où vous voyez une soutane et une robe, — pariez cent contre un qu’il y a dedans un rustre. — Vos Eaux-Vides, vos Platurks[1], et toute cette drogue, — Pardieu! ils ne valent pas cette prise de tabac. — Voulez-vous donner à un jeune gentilhomme une belle éducation? — L’armée est la seule bonne école de toute la nation. »


Ceci a été vu, et telle est la beauté des vers de Swift : ils sont personnels; ce ne sont pas des thèmes développés, mais des impressions ressenties et des observations amassées. Qu’on lise le Journal d’une Dame moderne, l’Ameublement de l’Esprit d’une Dame, et tant d’autres pièces : ce sont des dialogues transcrits ou des jugemens notés au sortir d’un salon. L’Histoire d’un Mariage représente un doyen de cinquante-deux ans qui épouse une jeune coquette à la mode; n’apercevez-vous pas dans ce seul titre toutes les craintes du célibataire de Saint-Patrick? Quel journal plus intime et plus acre que ses vers sur sa propre mortel ?


« Comment va le doyen? — Il vit tout juste. — Voilà qu’on lit les prières des mourans. — Il respire à peine. — Le doyen est mort. » — Avant que le glas n’ait commencé, — la nouvelle a couru par toute la ville. — « Ah ! nous devons tous être prêts pour la mort. — Qu’est-ce qu’il a laissé ? Qui est son héritier? — Je n’en sais pas plus que ce qu’on en dit. — Il a tout légué au public. — Au public? Voilà un caprice. — Qu’est-ce que le public avait fait pour lui? — Pure envie, avarice, orgueil. — Il a donné tout; mais il est mort avant. — Est-ce que dans toute la nation le doyen n’avait pas — quelque ami méritant, quelque parent pauvre? — Si disposé à faire du bien aux étrangers! — oubliant ceux qui sont sa chair et son sang!... » — Les dames mes amies, dont le tendre cœur — a mieux appris à jouer un rôle, — reçoivent la nouvelle avec une grimace d’affligées : — « Le doyen est mort (pardon, quel est l’atout?) — Alors que Dieu ait pitié de son âme! — (Mesdames, je risque la vole.) — On dit qu’il y aura six doyens pour tenir le poêle. — (Je voudrais bien savoir à quel roi faire invite.) — Madame, votre mari assistera — aux funérailles d’un si bon ami? — Non, madame, c’est une vue trop triste, — et puis il est engagé demain soir. — Milady Club trouverait mauvais — s’il manquait à son quadrille. — Il aimait le doyen (j’ouvre les cœurs), — mais

  1. Ovide, Plutarque.